Séminaire

Changer les modes de vie pour nous réapproprier notre histoire

16 novembre 2024


Introduction : le mode de vie, enjeu secondaire ? 

La notion de mode de vie évoque le marché, le marketing, ce qui lui retire immédiatement toute crédibilité. De fait,les « styles de vie » ont pu être mobilisés dans une optique marchande 1, suite aux travaux considérés comme fondateurs de Bernard Cathelat, qui avaient pourtant un tout autre but, de psychologie sociale 2. Le découpage opéré par des institutions telles que le Centre de Recherche pour l’Observation des Conditions de Vie (Crédoc), en France, suit la même pente : les « modes de vie » désignent l’évolution de la demande, à des fins de prévisions pour l’offre. Ce cadre théorique s’inscrit-il de manière irrémédiable dans une perspective libérale ? 

Ce n’est pas certain. Le président des États-Unis George Bush n’a-t-il pas affirmé, à Rio, en 1992 que « notre mode de vie n’est pas négociable » ? Et Trotsky lui-même n’a-t-il pas écrit que : 

« C'est le problème du mode de vie [nous soulignons] qui nous montre, plus clairement que toute autre chose, dans quelle mesure un individu isolé se trouve être l'objet des événements, et non pas leur sujet. Le mode de vie, c'est-à-dire l'environnement et les habitudes quotidiennes, s'élabore, plus encore que l'économie, “dans le dos des gens” (l'expression est de Marx). La création consciente dans le domaine du mode de vie a occupé une place insignifiante dans l’histoire de l'humanité. Le mode de vie est la somme des expériences inorganisées des individus ; il se transforme de façon tout à fait spontanée sous l'influence de la technique ou des luttes révolutionnaires, et au total, il reflète beaucoup plus le passé de la société que son présent » 3 ?

Citons également Engels : « Les hommes, enfin maîtres de leur propre mode de vie en société, deviennent aussi par là même, maîtres de la nature, maîtres d'eux-mêmes, libres » 4.

Otto Neurath, éminent représentant du Cercle de Vienne, responsable de la planification dans l’éphémère république bavaroise des Soviets en 1918-1919, ne disait-il pas que les modes de vie (Lebenslagenphysiognomie) permettent de surmonter le problème du « calcul socialiste » 5 ? C’est-à-dire de la planification ?

Ne doit-on pas en déduire que c’est le mode de vie qui, « plus clairement que tout autre chose », doit être l’objet d’une politique émancipatrice, si l’on souhaite que l’individu soit le sujet des événements, et non pas leur objet ? Mais alors, pourquoi ce fait n’est-il pas plus clairement exposé, analysé, théorisé ?

Disons-le tout de suite, l’hypothèse de travail ici est de se demander si la révolution de 1917, les grands mouvements sociaux et les diverses luttes n’ont pas en réalité pour objectif de changer les modes de vie. Et mesurer ce que cela change de prendre au sérieux cette hypothèse.

Comment les modes de vie sont régis dans le libéralisme

Selon le libéralisme, les modes de vie changent de deux manières 6. La première est le marché autorégulé. Prix et quantités sont mis en rapport les uns des autres, et le marché les alloue au mieux selon les désirs de chacun. Quand l’offre est supérieure à la demande, le prix baisse et réciproquement. Le travail, comme les autres biens et services, sont ainsi répartis de manière optimale. La seconde manière est par la loi. L’individu peut voter pour ses représentants, qui légifèrent. Ils peuvent ainsi décider de « biens sociaux premiers » (Rawls) tels que l’éducation ou la santé.

La réalité est bien différente. L’initiative relève en grande partie des entreprises, prises entre deux exigences contradictoires : faire baisser le prix du travail pour être compétitives, et assurer des débouchés, donc un pouvoir d’achat. Pour s’assurer d’un fonctionnement stable, leurs marchés doivent être « de renouvellement », c’est-à-dire adossés à des usages pérennes. Par exemple, l’usage de l’automobile ou de la télévision, dispositifs dont la configuration est restée à peu près identique pendant des décennies. A partir du moment où un bien ou un service est produit en très grande série, les usages dont il fait l’objet sont standardisés. C’est le cas également de What’s App ou d’Android : des milliards d’usagers font tous les jours à peu près les mêmes gestes pour s’en servir, et peuvent difficilement s’en passer. La stratégie se résume alors soit à conquérir les parts de marché des autres, sur des biens ou services comparables, soit à créer de nouveaux besoins. Dans les deux cas, l’enjeu n’est pas de satisfaire les besoins d’un seul individu, mais de milliers ou millions d’entre eux, de manière identique ou similaire. 

L’entreprise qui crée des besoins est confrontée à leur inexistence au départ : pas de demande. Elle doit susciter le désir pour un bien ou un service, et trouver une formule pour qu’il se répande chez de nombreux individus. Elle va donc cibler son offre, et procéder à de multiples essais et erreurs. Comme la plupart des produits sont d’autant plus utiles qu’ils sont largement répandus, elle va être confrontée au problème dit « de la poule et de l’oeuf ». Ainsi, le vélo est d’autant plus utile qu’il est déjà en circulation, puisque dans ce cas le marché existe, les infrastructures aussi, les savoir-faire, les réparateurs, les endroits pour les garer, les assurances, etc. Et rien de tout cela n’existe à l’époque des premiers vélos.

L’entreprise doit donc socialiser la consommation, elle ne peut pas faire autrement. Que l’entreprise soit remplacée par l’État ne change pas les données principales du problème, car un Etat ne peut pas non plus légiférer sur des besoins qui n’existent pas, puisque légiférer implique l’existence d’une majorité.

Comment les modes de vie changent dans le socialisme

Le socialisme a reproché à juste titre au libéralisme de laisser se creuser les inégalités. En effet, les entreprises créent les besoins en fonction de la solvabilité des populations sans pilotage global. Et ce sont bien les modes de vie que le socialisme a cherché à changer. En témoigne une recherche dans la base Marxists.org, ainsi qu’un opuscule de Trotsky dès 1923 7. Trois grandes méthodes ont été mises en oeuvre : avec marché, sans marché et autogestionnaire. Quelles leçons peut-on en tirer ? 

Le cas de la Yougoslavie est particulièrement éclairant, puisque ces trois méthodes s'y sont déployées de manière successive. Résumons les principaux enseignements. Du côté positif, citons les faibles écarts de salaire (1 à 7 contre 1 à 400 pour une entreprise contemporaine comparable), les bonnes conditions de travail puisque les directeurs étaient élus, une économie qui s’est développée de manière comparable à de nombreux pays capitalistes (taux de croissance etc.), la relative absence de « métiers en tension » puisque les travaux sales et dangereux étaient mieux rémunérés. Du côté négatif, une réduction des libertés politiques, une perte de sens et une démotivation quasiment proportionnelles au degré de centralisation, une relative incapacité à innover (les techniques sont plutôt importées), un échec du « pilotage » global au profit de nombreux aller-retours entre le bas et le haut de la société. Le marxisme s’avère ambigu, en ceci qu’il permet la critique du libéralisme, mais qu’il cède trop facilement devant l’autoritarisme ou le productivisme.

Et surtout, une tendance des socialismes à prendre trop au sérieux ce que le libéralisme dit de lui-même, à savoir que le marché est autorégulateur, par les prix et par les quantités. Otto Neurath est l’un des rares à mettre en avant l’impossibilité de piloter une société par les prix et par les quantités et à avancer l’idée d’un gouvernement des modes de vie. Il n’aura malheureusement pas l’occasion de tester ses propres propositions.

Modes de vie, styles de vie, genre de vie et système

Trotsky écrit Les questions du mode de vie en 1923, alors que la Nouvelle politique économique (NEP) donne des résultats mitigés, notamment sur le plan culturel. Il se rend compte que la conquête du pouvoir et la socialisation des moyens de production n’ont pas réellement prise sur certains enjeux qu’il qualifie de « culturels ». Il souligne dans ce livre l’importance de la politesse ou encore du fait de graisser ses bottes, autant de « petits gestes » qui, cumulés, ont une influence significative sur l’état du pays. De la lecture de cet opus émergent quatre caractéristiques du concept de modes de vie. 

La première est qu’il possède une cohérence conceptuelle propre. Il désigne une totalité dialectique, objective et subjective, « en soi » et « pour soi », ne se réduisant pas à un mode de production au sens étroit du terme (travail, temps de travail, rémunération) mais incluant la consommation, les activités domestiques et familiales, l’art, le droit8, la dimension rituelle ou théâtrale. Ensuite, le mode de vie est une totalité scalaire. Il se joue à l’échelle du village, de la ville, de la nation, de la classe ou encore d’un système (conservateur, libéral, socialiste ou communiste). Les modes de vie sont également dépendants les uns des autres ; ainsi les pauvres des riches, liés dans le partage de la valeur ajoutée. Boris Johnson trahit cela, lorsqu’il affirme que les inégalités et l’esprit d’envie sont nécessaires car elles forment le moteur de la compétitivité du pays 9. Enfin, les modes de vie sont plus ou moins faciles à changer : c’est la grande leçon qui mène Trotsky vers la « culture », c’est-à-dire l’identité.

Le mode de vie reste cependant sous-théorisé dans le corpus marxiste. Les socialismes réels se sont focalisés sur une partie du mode de vie : la production. De leur côté, les écologistes ont tendance à ne s’intéresser qu’à une autre partie : la consommation. Il en résulte que les uns ont perdu les classes sociales, et les autres n’arrivent pas à devenir « populaires », à élargir leur base militante. Peut-on aller plus loin ? 

Le sociologue Salvador Juan propose des distinctions pertinentes 10, qui peuvent évoquer une ontologie de type sartrienne telle qu’elle se déploie dans la Critique de la raison dialectique 11. Lesmodes de vie désignent en effet des pratiques répétitives et largement répandues, que Sartre appelle « les séries » ou comportements « sériels ». Elles sont standardisées et peuvent être saisies par les statistiques. Ainsi le profil type de l’usager du métro qui se rend au travail entre 6h et 7h le matin est-il assez différent de celui que l’on rencontre entre 8h et 9h. Les employés prennent la suite des ouvriers. Les modes de vie se distinguent des styles de vie, concept qui désigne les variations et choix individuels à l’intérieur des modes de vie. Ainsi, l’usager du métro préfère la tête du métro, ou la queue, être assis, poli, éventuellement sourire. 

Le genre de vie désigne les minorités actives qui agissent de manière organisée pour changer les modes de vie. Ces minorités actives relèvent de toutes les activités qui cherchent à modifier l’ordre et la stabilité des séries : entreprises, associations, syndicats ou encore gouvernements. À l’intérieur des genres de vie, nous pouvons, avec Sartre et Juan, distinguer ceux qui visent à l’argumentation, à la conviction, à l’émancipation, et ceux qui n’ont en tête que la persuasion, la manipulation et ce que Sartre appelle « l’extéro-conditionnement »12, la manipulation des individus en masse, non par la contrainte et la force, mais par l’agencement du milieu sociotechnique, qui oriente de manière latérale, sans brusquer.

Le quatrième concept est le système, entité à l’intérieur de laquelle se trouvent les trois autres.

Sur cette base, nous pouvons déjà tirer quelques conclusions. La première est que les minorités actives sont principalement les grandes entreprises et l’État, dans le libéralisme ; et seulement l’État, dans les formes de socialisme les plus centralisées. Dans ce cas, l’Etat a également détruit les styles de vie, en confondant égalité et uniformité. Seconde conclusion : tous les mouvements sociaux sont des minorités actives, et pas seulement le mouvement ouvrier. Chacun a sa stratégie, et voit « le système » à sa manière. Du côté de l’écologisme, une critique de la technologie, des forces productives 13, ainsi qu’une apologie de l’autonomie, avec une fibre libertaire ; et un système perçu comme « productiviste ». Du côté du féminisme, la critique d’un système « patriarcal ». Et ainsi de suite. 

Les leviers dialectiques du changement

Les individus engagés ne savent pas réellement ce qu’ils font, parce qu’ils n’ont pas de vision globale des effets collectifs de leurs comportements. Pour les percevoir, ils n’ont pas d’autre choix que de se référer à des points focaux, des lieux de totalisation, de synthèse, où l’effet agrégé de leur action pourra être visible. Sartre qualifie ces points focaux de « quasi souverains », parce qu’ils peuvent influencer la perception que les individus ont de ce qui a lieu, dans le sens de la vérité ou du mensonge, mais sans pouvoir agir à la place des individus eux-mêmes. Leur influence est « latérale », quand bien même ils auraient recours à la force pour les contraindre. L’un des quasi-souverains les plus importants est l’État. Mais la presse en constitue également l’une des formes possibles, ainsi que toutes les minorités actives.

Les leviers du changement sont dialectiques, à la fois objectifs et subjectifs. Serge Moscovici a contribué de manière significative à éclairer le versant subjectif. Contre le conservateur Gustave Le Bon14, il soutient que l'influence ne s'exerce pas uniquement du chef vers les sujets, mais de tous vers tous. Le but de l’influence n’est pas nécessairement de maintenir le contrôle social, mais aussi de changer la société. L’influence ne va pas seulement de haut en bas, suivant des rapports de dépendance, mais également de bas en haut. L'individu « n’obéit » pas à l’autorité par peur du chaos, comme dans la vision hobbesienne. Au contraire, toute personne est source et récepteur potentiel d'influence. Moscovici soutient que le changement social, autant que le contrôle social, constitue un objectif d'influence ; et que l'incertitude est le résultat d'un travail actif et nécessairement conflictuel d'une minorité qui veut obtenir de l'influence. 

L’objectif d’une minorité active est de changer ce que la majorité perçoit comme son intérêt, et gagner ce que Gramsci appelle l'hégémonie. Serge Moscovici identifie cinq « styles de comportement » de la minorité, qui peuvent avoir de l’influence sur la majorité : l'investissement (par exemple, le militantisme), l'autonomie (montrer qu'on agit selon ses propres lois), la consistance (qui est indice de certitude et de cohérence), la rigidité (inaptitude au compromis) et l'équité (aptitude au compromis et à l'ouverture, au contraire). L’atteinte des objectifs ne découle pas de l'adoption d'un seul type de comportement, mais de l'adaptation du comportement à la situation15. Les différents comportements peuvent être portés par des individus distincts, ou par le même dans des situations différentes. Il y a tantôt nécessité de radicalisme, tantôt de compromis, tout dépend de la situation et chacun peut le comprendre puisque l'objectif est de changer l'ordre social. C'est dans le résultat global visé que se fait l'unité. 

Moscovici critique également le recours fréquent à la « norme d'objectivité », en tant que levier privilégié de l’influence. Elle consiste à présenter un objectif (exemple : rester sous les 1,5°) et croire que des actes prévisibles devraient en découler. C’est faux. Les individus peuvent diverger sur l’importance relative de cet objectif aussi bien que sur les moyens de l’atteindre. Le porteur de la norme d’objectivité croit qu’il saisit le réel des individus, alors qu’il reste extérieur. La norme la plus efficace est la norme d’originalité, qui fait appel à la créativité des individus. L’objectif est rigide, mais les moyens de l’atteindre sont laissés à l’inventivité. Ceci explique aussi les limites de « l’ingénierie sociale », qui cherche par exemple à identifier des actions jugées efficaces, à partir de travaux scientifiques tels que la sociologie, et à vouloir les généraliser en l’état. Ils se heurtent à ce que les situations ont de singulier, et ne sollicitent pas suffisamment le désir.

À cette analyse, qui se focalise plutôt sur le versant subjectif, s’adjoignent des stratégies portant sur le volet objectif. Le changement des modes de vie a des implications économiques, juridiques, techniques ou d’aménagement du territoire. Passer de l’usage de la voiture à celui du vélo conduit à construire des voies dédiées, des vélos, recruter dans certains secteurs et débaucher dans d’autres. L’utilité d’une solution est rarement évidente. Le problème des uns n’est pas celui des autres. Construire un « problème public » se fait pas à pas et sans que l’histoire soit prévisible 16. C’est la raison pour laquelle seule une partie est planifiable de manière centrale, sauf à détruire l’initiative. L’enjeu est plutôt de construire des coalitions de genres de vie, contre d’autres genres de vie concurrents (ainsi, auto contre vélo). Le gouvernement et l’État sont des protagonistes parmi d’autres.

Les cas où la solution portée par les minorités actives correspond d’emblée à un besoin bien identifié sont plutôt l’exception que la norme. Les travaux sur l’innovation montrent que la diffusion des nouveaux dispositifs sociotechniques relèvent plus de l’apprentissage collectif que du mimétisme. L’évolution est faite de réinterprétations, ce qui n’exclut pas un certain degré de généralité, à différents niveaux (Etat, collectivité territoriales ou autre). Plusieurs leviers objectifs facilitent ou compliquent le processus. L’un d’entre eux est « l’effet de réseau ». Le cas le plus connu est celui du téléphone : rien ne sert d’en posséder un si personne d’autre n’en a. Et à l’inverse plus le téléphone est répandu, plus il est utile. C’est le cas de la plupart des dispositifs, en réalité. Plus les vélos sont répandus, plus on trouve de réparateurs et de personnes sachant les réparer ; plus ils s’imposent sur la route. D’autres effets existent, tels que les économies d’échelle (plus on produit, moins ça coûte cher). Certains spécialistes avancent que 90 % des effets pratiques de la Recherche et Développement sont dans le « D » de « développement » 17.

Conclusion : comment faire l’histoire que nous faisons

Les modes de vie sont donc une entité statistique située entre le style de vie (les choix individuels) et le système. Ils se déploient dans l’espace mésosociologique, à différentes échelles, entre le macrosociologique (l’État) et le microsociologique (les biographies, les individus dans leur singularité). Ils sont l’objet de statistiques, à la différence des styles de vie, qui sont des singularités non répétitives. Ils nous sortent de ce projet un peu fou, dit du « calcul socialiste », qui tente de réguler volontairement les prix et les quantités à l’échelle d’une économie entière18. Ils sont le niveau auquel se joue l’identité des individus, que celle-ci soit choisie ou subie. Ils sont donc signifiants, à la différence des visions économicistes. Ils ont un rôle fonctionnel. Vouloir changer les modes de vie à partir des styles de vie conduit à faire reposer une responsabilité démesurée sur les épaules des individus. Telle est la raison du caractère insupportable des injonctions portant sur les « petits gestes » et autres « nudges ». Par construction, ils ne sont pas à l’échelle de décision du problème auquel ils sont censés répondre. Les modes de vie sont interdépendants, et impliquent donc une discussion sur les responsabilités respectives, ce qui nous ramène à l’enjeu de la justice. De quoi les riches sont-ils coupables ? Et les pauvres ? Qui doit changer ? Le problème n’est plus celui de Trotsky, de constituer l’unité de la classe ouvrière, par-delà les métiers et particularismes, avec la paysannerie. Mais il demeure, sous des formes renouvelées. Ecologiser les modes de vie populaires implique des enjeux bien différents de ceux des classes supérieures, puisque leurs modes de vie sont très différents : chez les premiers, récupération, bricolage, solidarité familiale, capital culturel limité, et de l’autre achat neuf de produits « verts », moyens financiers nettement supérieurs et capital culturel élevé 19. Si le style de comportement écologiste ne l’exprime pas, alors il trahit le mode de vie qu’il incarne, et les intérêts qu’il sert. L’État peut bien être appelé à la rescousse, il ne fournit pas forcément de meilleur point d’appui, dans la mesure où il œuvre sur les généralités. Si celles-ci ne correspondent à rien, pour les individus visés, alors les actions seront soit inefficaces, ou détournées de leur but, soit autoritaires. 

1 https://www.definitions-marketing.com/definition/Styles-de-vie/ ; https://reussir-son-management.com/marketing-durable/

2 Cathelat, Bernard, Styles de vie, Paris, Editions d’Organisation, 1985.

3 Trotsky, Léon, Les questions du mode de vie (1923), Paris, Editions Sociales, 1976, chap. 7.

4 Engels, Friedrich, Anti-Dühring. Monsieur Eugen Dühring bouleverse la science, 1878, part. 3, II.

5 Neurath, Otto, « Inventory of the standard of living », in Mulder, Henk L. et al., dir., Vienna Circle Collection, vol. 23 / , New York, Boston, Dordrecht, London, Moscow, Kluwer Academic Publishers, 2005, pp. 513‑527.

6 Flipo, Fabrice, L’impératif de la sobriété numérique. L’enjeu des modes de vie, Paris, Matériologiques, 2020.

7 Trotsky, Les questions du mode de vie (1923).

8 Ibid., chap. 5.

9 Watt, Nicholas, « Boris Johnson invokes Thatcher spirit with greed is good speech », The Guardian, 27 novembre 2013, <https://www.theguardian.com/politics/2013/nov/27/boris-johnson-thatcher-greed-good>, .

10 Juan, Salvador, Sociologie des genres de vie – morphologie culturelle et dynamique des positions sociales, Paris, PUF, 1991 ; Dobré, Michelle et Juan, Salvador, Consommer autrement. La réforme écologique des modes de vie, Paris, L’Harmattan, 2009.

11 Sartre, Jean-Paul, Critique de la raison dialectique, Paris, Gallimard, 1960.

12 Ibid., p. 726.

13 Lipietz, Alain, Qu’est-ce que l’écologie politique ? La grande transformation du 21ème siècle, Paris, La Découverte, 1999.

14 Le Bon, Gustave, Psychologie des foules (1895), Paris, PUF, 2003.

15 Moscovici, Serge, Psychologie des minorités actives (1979), Paris, PUF, 1996, p. 164.

16 Gusfield, Joseph, La culture des problèmes publics. L’alcool au volant : la production d’un ordre symbolique, Paris, Economica, 2009.

17 Rosenberg, Nathan, Perspectives on technology, London, Cambridge University Press, 1976.

18 Bettelheim, Charles, Problèmes théoriques et pratiques de planification, Paris, Maspéro, 1966 ; Coutrot, Thomas, « Socialisme, marchés, autogestion : un état du débat. Séminaire Matisse “Hétérodoxies”, 18 octobre 2002 », Revue du Mauss Permanente, mai 2017.

19 Wallenborn, Grégoire et Dozzi, Joël, « Du point de vue environnemental, ne vaut-il pas mieux être pauvre et mal informé que riche et conscientisé ? », in Environnement et inégalités sociales, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2007, pp. 47‑49.