Séminaire du 14 mars par Paul Jorion & Pierre Sarton du Jonchay
Écologie de la monnaie résiliente
Posons l’écologie comme un discours ou une recherche sur la résilience de l’économie. A la différence de l’économie qui mesure des prix et définit les conditions de la mesure de ce qui est rare, l’écologie étend sa réflexion à définir et qualifier ce qui doit s’intégrer dans le calcul de la rareté pour économiser durablement le cadre et les ressources de la vie. L’écologie rend l’économie résiliente si elle est capable de proposer aux sociétés humaines une vision transformable des objets de prix et des règles de l’échange telle que la vie puisse se développer durablement ; telle que les menaces que l’économie actuelle fait peser sur le monde vivant puisse être durablement résiliées. L’écologie pose trois problématiques explicitement critiques dans le système actuel de libre circulation privée du capital. Première évidence : les ressources puisées dans le milieu naturel anthropologique et physique ne sont pas renouvelées par les allocations marchandes du capital. Il faudrait que le prix de toutes les consommations actuelles couvre l’investissement et l’innovation nécessaires à la reconstitution du milieu naturel. Or les sociétés politiques qui s’efforcent d’intégrer par le prix de revient à la production la reconstitution du capital naturel, sont entravées dans une compétition nominale mue par l’accumulation spéculative de capital financier. Deuxième problématique insoluble dans le système actuel : l’application universelle effective des normes de préservation du milieu commun à toute l’humanité. Les activités économiques qui détruisent le lien social et la bio-diversité, qui polluent les métabolismes, l’air, l’eau et les espaces physiques, ne sont pas sanctionnables. La traçabilité publique équitable par les prix de la soutenabilité des biens et services demandés n’est pas efficiente. La destruction nette de valeur commune peut être affectée d’un prix positif exactement comme la livraison d’un bien ou service réellement et publiquement vérifiable. Troisième incongruité écologique : la négociation libre des prix dans un marché mondial unifié met plusieurs systèmes de normes en compétition sans que les sociétés soient rendues économiquement comparables quant à l’efficacité de leur mode de vie spécifié par la lisibilité des normes effectivement appliquées. Les systèmes différents de droits humains, de droit de l’environnement, de mutualisation des investissements et des assurances sont mis sur le même plan de compétition théorique sans obligation pratique d’équilibrer, l’offre à la demande, la production à la consommation dans chaque système. La crise de l’économie financière libérale se manifeste sur le plan écologique par la capitalisation illimitée dans des dettes internationales non remboursables d’engagements non appliqués de protection de l’homme dans son environnement. Les accords internationaux de régénération du milieu naturel restent lettre morte. Le travail des communautés politiques publiques se dissout dans la confrontation d’intérêts particuliers exclusivement privés. L’intérêt général ne peut pas exister réellement quand les prix sont négociés sur des actifs de propriété privée abstraitement dissociés des actifs de bien commun qui conditionnent et substantifient la propriété privée et le bien-être individuel. Une écologie de l’économie résiliente ne peut pas éviter de questionner la formation des prix par rapport à la définition objective du capital nécessaire à la vie durable, par rapport aux pratiques de mesure de la croissance réelle du capital et par rapport aux règles de répartition des coûts et bénéfices de capital entre les citoyens et les différentes sociétés où ils agissent. Autrement dit, le débat sur la norme écologique et sur le prix de son application n’a pas de traduction dans la réalité sans une remise en question de la monnaie et de la politique monétaire par quoi le capital est comptabilisé, réparti et investi dans le développement durable d’un bien être collectif local et global.
Théorie et pratique de la monnaie résiliente
L’écologie de la résilience d’une économie de responsabilité est obligée d’élargir la discussion des principes et des normes à la discussion libre des prix régulée par l’intérêt général matérialisé dans la monnaie. La résilience monétaire implique quatre réalités économiques monétisables dans les champs de la société politique, de la comptabilité financière du capital, de la rémunération universelle du travail et de la définition juridique négociable des actifs sous-jacent aux prix. La monnaie est le seul moyen de matérialiser l’application à une réalité économique identifiée d’un contrat social entre des citoyens effectivement solidaires sur un objet explicite. Pour mesurer l’application effective d’un ensemble de normes délibérées par une société, l’unité monétaire de compte propre est le seul moyen de distinguer les personnes réellement engagées des personnes non concernées ou en position de défiance, ou juridiquement engagées mais économiquement incapables d’en assumer individuellement le coût. La matérialisation écologique d’une économie sociétale par sa monnaie propre implique que les prix calculés et réglés dans la monnaie liquide sont objectivement la provision et l’application certaine des normes établies solidairement par tous les utilisateurs de la même monnaie. A l’intérieur de la société, un règlement en monnaie propre contient toutes les règles économiques de redistribution qui garantissent l’application effective de la loi commune. A l’extérieur de la société, la prime de change de la monnaie locale en monnaies étrangères matérialise l’appréciation générale de la dévaluation ou de la réévaluation des prix internes par le jugement économique collectif équitable et libre. La différenciation écologique des comptabilités économiques par les unités différentiables de la monnaie requiert la différentiation financière des pouvoirs politiques selon les degrés de la loi, selon la nature des sociétés constituées et selon les territoires du milieu naturel exploité. Il en résulte quatre degrés de souveraineté monétaire : le degré de l’humanité toute entière sur son globe terrestre, le degré des systèmes politiques de nationalité, le degré des États actuels de droit local ou multinational et le degré des sociétés d’entreprise à objet purement économique. La souveraineté monétaire à quatre degrés impliquerait la mise en œuvre de chambres de compensation du crédit monétaire sur le modèle du bancor de Keynes. Chaque parité de change y représente une responsabilité politique souveraine sur son territoire économique mais solidaire par une norme supérieure matérialisée dans la monnaie de compensation. L’adhésion des sociétés politiques et économiques à une même chambre de compensation permet la constitution financière d’un capital écologique commun. Ce capital alimenté par une fiscalité financière intégrée à la compensation sous le contrôle d’une autorité politique confédérale délimitée, assure l’application solidaire des normes communes de préservation et de réparation du milieu naturel. La compensation inter-étatique sur quatre degrés égaux en droit pose une responsabilité politique individuelle et collective de la transformation économique du milieu naturel. Elle reposerait sur l’infrastructure technique et juridique des marchés financiers actuels. Mais la compensation type bancor keynésien transforme en actif financier négociable en tant que tel ce qui constitue actuellement les réserves de change des zones monétaires ou les fonds propres des sociétés. Tout capital est alors établi sur deux degrés de réalité qui se couvrent réciproquement : la micro-économie de l’objet attribué à l’usage responsable de la personne physique et la macro-économie de la subjectivité écologiquement solidaire par les personnes morales. La monnaie décomposable en quatre degrés politiques de responsabilité compensable transforme l’adossement actuel des monnaies à des actifs d’intérêt privé en adossement à des actifs publics de travail réparti. La plus-value financière actuellement extraite de rapports de force spéculatifs déconnectés des équilibres naturels ne peut plus être rendue liquide sans la vérification publique transparente du travail effectivement accompli de transformation écologique des services rendus aux citoyens. Les sociétés politiques et économiques deviennent effectivement responsables par le prix réel négociable et transformable du milieu naturel.