Séminaire


Sauver les terres agricoles et la démocratie dans le Grand Paris

27 avril 2024

Depuis 2011, un groupe de citoyens, le Collectif pour le Triangle de Gonesse, s’oppose à l’artificialisation des terres agricoles du Triangle de Gonesse. Ces 700 hectares coincés entre l’autoroute A1 et les aéroports de Roissy et du Bourget sont les derniers restes de la Plaine de France au sein de la tache urbaine de l’agglomération parisienne. Longtemps resté agricole à cause des nuisances sonores dues aux avions et des risques d’accidents, le Triangle fait l’objet d’un projet d’urbanisation par la région et l’Etat depuis 2010, sous la forme d’une Zone d’aménagement concertée (ZAC) de 280 hectares desservie par la ligne 17 Nord du Grand Paris Express et tirée par un projet privé appelé EuropaCity. Porté par les groupes Auchan et Wanda (Chine), ce centre commercial et de loisirs promettait un investissement de 3 milliards d’euros et la création de plus de 10 000 emplois.

En 2019 après presque dix ans de mobilisation, les opposants ont réussi a défaire cette alliance des pouvoirs publics et de ces grands groupes privés, et à obtenir l’annulation du projet EuropaCity par le gouvernement. Comment ont-ils et elles fait ? Quelles sont leurs valeurs et leur répertoire d’actions ? En suivant John Dewey, nous pourrions les qualifier de “réformistes radicaux.”

Pourtant, la mobilisation n’est pas finie. Le gouvernement s’obstine à construire dans les terres du Triangle une gare en plein champ alors qu’il ne reste aucun projet à desservir. Quels nouveaux moyens les militants mettent-ils en œuvre pour empêcher l’artificialisation des terres par une puissance publique qui refuse tout dialogue ? Nous discuterons de l’émergence d’un type de mobilisation cultivant la légitimité publique tout en étant prêt à recourir à des moyens réprimés par la loi. J'ai ainsi réalisé dans mon travail de terrain ethnographique que les militants du Collectif défendent autant les terres agricoles qu'une idée et une pratique de la démocratie participative simple, mais radicale dans ses effets. Ils tentent de forcer les institutions et les élus à rendre des comptes et à prendre leurs responsabilités face à leurs demandes argumentées. A défaut, comme c’est le cas aujourd’hui, ils sont prêts à passer outre ces pouvoirs, de diverses façons, y compris illégales, mais toujours en s'appuyant sur une opinion publique qu'ils ont éclairée de leurs enquêtes, susceptibles de faire entendre l'intérêt public. 

Mon sentiment est que cette conception de l’action politique est en train de gagner du terrain chez les militants environnementalistes de plusieurs tendances, ce qui leur donne une force collective qu'on peut par exemple voir au sein des soulèvements de la Terre et des mouvements contre les mégabassines et l'autoroute A69. C'est une conception de la démocratie qui fait une grande place aux débats citoyens et à l’action collective pourvu qu'ils portent sur des questions relativement concrètes. Ainsi, à l'inverse des mobilisations guidées par des idéologies qui déterminent la direction à prendre quelle que soit la situation locale, celle-ci n'a pas de modèle autre que sa méthode. C'est pourquoi je rassemble les actions visant à sauver les terres agricoles et sauver la démocratie dans un seul et même mouvement. 

Reste à lui trouver un nom : libéralisme radical, démocratie en acte? 

Stéphane Tonnelat donnera un séminaire à l'Institut Momentum, samedi 27 avril 2024 de 15h à 18h, Fondation Charles Léopold Mayer, 38 rue Saint Sabin, Paris 11ème.