Quelques indications biographiques : Denis Chartier a débuté ses recherches autour des impacts de l’action des grandes ONG environnementales avant de travailler plus spécifiquement sur les actions de Greenpeace en Amazonie brésilienne et leurs tentatives visant à construire des alternatives à des modes de développement mortifères. À l’échelle internationale, Denis Chartier a notamment collaboré à la réalisation d’une ethnographie des acteurs de la conférence RIO+20 avec l’objectif de comprendre les processus de modernisation écologique du capitalisme et les raisons pour lesquelles ces grandes conférences donnaient si peu de résultats[1]. Cette étude a été réalisée alors qu’il était encore co-rédacteur en chef, de 2005 à 2013, de la revue Écologie & Politique. Au cours de ses recherches en Amazonie, il a aussi travaillé sur les politiques de conservation de la nature et les luttes socioenvironnementales autour des grands barrages hydroélectriques, notamment celui de Belo Monte. La construction de celui-ci, l’un des plus puissants au monde, a causé un très grand nombre de dégâts sur la biodiversité et les populations locales. Comme illustré ci-dessous, les populations déplacées ont été relogées dans des maisonnettes en série ayant conduit à une perte d’autonomie et une forte détérioration de leurs conditions d’existence.
Sources : Construction du barrage de Belo Monte (Folha de São Paulo) (gauche) et Lalo de Almeida, Folha de S. Paulo (droite).
Au bout d’un certain nombre d’années, il a été submergé après beaucoup d’autres par un sentiment intense d’impuissance en tant que chercheur et citoyen, sentiment qui s’est cristallisé à l’occasion d’un retour sur le terrain en 2015 et du constat des effets délétères du barrage de Belo Monte sur les écosystèmes et les populations locales. Cela l’a conduit à remettre en question ses façons de travailler et à explorer ce qui pourrait manquer aux propositions d’écologie politique pour pleinement s’exprimer.
De la géographie environnementale à l’écologie politique orphique
Afin de saisir ce qui avait pu le conduire à sentir une certaine impuissance face à la catastrophe, Denis Chartier a d’abord présenté une vidéo visible dans le cadre de deux expositions réalisées en 2016 et 2017 à la galerie le Garage à Orléans et à l’espace Krajcberg à Paris[2]. Cette vidéo[3], construite à partir de petits films de terrain tournés dans une réserve extractiviste – une réserve forestière dans laquelle des peuples traditionnels qui y vivent extraient de manière soutenable quelques produits forestiers comme le caoutchouc – visait à faire sentir l’accélération et les effets délétères du « progrès » économique sur la grande majorité des habitants humains et non-humains de ces régions. Plus spécifiquement, à la toute fin du film, apparaît un habitant dans un espace forestier qu’il a défriché où il diffuse du Round Up de façon artisanale. Pour Denis Chartier, cette scène est une illustration des verrouillages juridico-socio-techniques qui empêchent de construire des alternatives solides à un capitalisme agro-industriel mortifère. Diffuser de l’herbicide dans une zone défrichée peut paraître anecdotique mais c’est très fort symboliquement. C’est une trace des effets pervers du désenclavement des habitats et des mirages proposés aux populations locales pour leur avenir. C’est une marque des processus d’accélération et de désenclavement qui transforment ce front pionnier (Denis Chartier a évoqué ici la croissance des villages traditionnels devenus villes modernes). Alors qu’il avait quitté en 2005 une petite bourgade peu connectée au bord d’un fleuve, il retrouva en 2015 une petite ville très active). Pour terminer sur ce point, il a été évoqué une publicité de la marque de l’équipementier Stihl vue dans Le Monde en rentrant de ce terrain : « Ne laissez pas la nature vous faire de l’ombre » pouvait-on lire. C’est cette même entreprise qui commercialise l’outil que l’on retrouve aux mains de petits agriculteurs Africains ou latino-américains pour répandre le Round Up. Cette anecdote dit beaucoup sur ces verrouillages qu’il développe ensuite en citant Isabelle Stengers.
« La bonne volonté ne suffit pas face à un enchevêtrement de logiques socio-économico-techniques bien articulées qui verrouillent ou condamnent à l’insignifiance toute possibilité de créer d’autres rapports au monde que ceux qui nous ont conduit droit en Anthropocène[4]. »
Comme dans cette réserve non loin de Belo Monte, les endroits où l’on tentait de créer des alternatives sont « laminés » par des logiques extractivistes et capitalistes. Qu’il est difficile de garder un certain optimisme face à ce constat… Denis Chartier a donc envisagé de changer ses méthodes de travail et de questionner plus frontalement ce qui manquerait aux propositions d’écologie politique pour retrouver de l’allant et participer à leur donner de la force. En relisant Isabelle Stengers, il a commencé par adopter le terme de « Gaïa » car :
« Nommer Gaïa et caractériser en tant qu'intrusion les désastres qui s'annoncent relèvent, il est crucial ici de le souligner, d'une opération pragmatique. Nommer n'est pas dire le vrai, mais conférer à ce qui est nommé́ le pouvoir de nous faire sentir et penser sur le mode qu'appelle le nom. En l'occurrence, il s'agit de résister à la tentation de ramener à un simple “problème” ce qui fait événement, ce qui nous met à la question. Mais aussi de faire exister la différence entre la question imposée et la réponse à créer. Nommer Gaïa comme “celle qui fait intrusion”, c'est aussi la caractériser comme aveugle, à la manière de tout ce qui fait intrusion, aux dégâts qu'elle occasionne. C'est pourquoi la réponse à créer n'est pas une “réponse à Gaïa”, mais une réponse tant à ce qui a provoqué son intrusion qu'aux conséquences de cette intrusion[5]. »
Nommer Gaïa et préférer le terme de gaïagraphie à celui de géographie lui permet de pleinement dire ce que font les questions environnementales à sa discipline, transformée, comme toutes les autres sciences humaines, par l’évènement Anthropocène. Cela permettait de clarifier, entre autres choses, un positionnement et une démarche scientifique (positionnement que l’on trouve dans l’ouvrage Manifeste pour une géographie environnementale[6]) face à une tradition française climato-sceptique très présente chez certains de ses collègues géographes.
Denis Chartier a ensuite tenté d’apporter des réponses à des propositions d’écologie politique jugées souvent trop matérialistes et rationalistes (ce qui serait une de leurs limites pour pleinement s’exprimer). Il lui semble que nous avions évacué trop rapidement la question du sensible, du relationnel, du soin. Pour explorer une piste visant à donner de la puissance aux propositions d’écologie politique et combler ce manque, il a donc ajouté la dimension orphique. Décoloniale, féministe, relationnelle, cette écologie politique orphique vise à produire un effet de sens. L’effet de sens peut se confondre avec un effet placebo, c’est-à-dire un effet qui peut permettre, par la simple conviction, d’engager d’autres forces pour se guérir et guérir. La notion d’orphisme qu’il tente de développer a été trouvée auprès du philosophe Pierre Hadot et s’oppose à l’attitude prométhéenne consistant à violenter et forcer la nature pour en tirer quelque chose. L’attitude orphique est, quant à elle, celle qui consiste à se laisser initier par la nature pour en connaître les secrets et agir avec elle. Souhaitant décaler les formes de présentation de cette proposition, Denis Chartier propose ensuite une lecture poétique de cette écologie politique orphique.
Lecture poétique d’une écologie politique orphique
Qu’est-ce qu’une écologie politique & orphique ?
C’est une réponse.
C’est un autre chemin.
C’est une voie/voix pour sortir du dépit et ne plus faire l’autruche.
C’est enfin reconnaître que la Terre est ronde.
C’est penser/panser à partir du ravage écologique.
C’est une reconnaissance des boucles de rétroaction.
C’est réfléchir en prenant acte de la dissolution du dualisme nature-culture.
C’est la fin de la division entre géographie physique et humaine.
C’est un au-delà de la géographie environnementale.
C’est une mésologie acceptant l’intrusion de Gaïa.
C’est la fin d’une « certaine » désinhibition.
C’est un mouvement de redevenir sensible.
C’est s’appréhender dans le monde.
C’est une reconnaissance que la Terre est devenue chatouilleuse.
C’est interroger sa pratique.
C’est une pratique située, décolonisée et décolonisante.
C’est une pratique de décolonisation de sa propre pensée.
C’est une lutte.
C’est une dissidence baignant d’indiscipline.
C’est une pratique extradisciplinaire.
C’est une guerre contre les agnotologues, contre ceux qui veulent nous rendre insensibles.
C’est se laisser affecter.
C’est un outil de confiances risquées.
C’est influencer et être influencé.
C’est un ralentissement nécessaire... provoqué par une accélération.
C’est être géographe au temps des catastrophes.
C’est être au temps des catastrophes.
C’est être artiste au temps des catastrophes.
C’est une géographie du temps de la fin.
C’est inverser une altération du rapport au monde ou sortir de la folie.
C’est « se rendre attentif à ce à quoi d’autres tiennent ».
C’est un processus de désenvoûtement de la sorcellerie capitaliste.
C’est penser/panser à partir du caractère intrinsèquement écologique de nos modes de perception.
C’est « devenir amérindien ».
C’est repérer et décrire les territoires en lutte.
C’est être sensible à la rétroaction des êtres.
C’est une géographie des territoires discontinus et superposés.
C’est abandonner tout espoir d’échapper aux conséquences de notre action. C’est se délester de l’espoir.
C’est apprendre à repérer les verrous.
C’est sentir l’onde qui monte du sol.
C’est écouter, sentir, voir... pleinement.
C’est prêter attention à toutes les fréquences.
C’est une improvisation.
C’est une pensée sauvage et chamanique, une ouverture à des formes d’animisme. C’est une autre façon de caresser la Terre.
C’est la fin de la suprématie de l’intellect sur le sensible.
C’est une science de l’intuition.
C’est être avec son corps.
C’est un projet de Gaïagraphie.
L’auteur propose ensuite, plutôt que de faire de longues explications théoriques, de montrer ce que peut être faire de la gaïagraphie et de l’écologie politique orphique à travers la présentation de quelques résultats de son dernier terrain de recherche consacré à la relation aux vivants dans la fabrication de vins naturels.
Une gaïagraphie viticole : le vin naturel
À la rencontre de vigneron·ne·s de vins naturels, Denis Chartier nous invite d’abord à un voyage sonore à travers le temps, l’espace et les échelles. Il s’agit certainement de sons sans doute proches de ce que l’on pouvait déjà entendre sur Terre il y quelques milliards d’années : lien. Cette expérience sonore est le résultat du travail des levures et bactéries dans les cuves des vignobles, transformant le sucre en alcool et l’acide malique en acide lactique. Denis Chartier a décidé d’enregistrer ces crépitements pour rendre sensible la relation très particulière qu’entretiennent les vigneron·ne·s à leurs vins. L’idée est de pouvoir donner à voir et à sentir ce qu’il a pu identifier sur le terrain en écoutant et suivant les microbes, comme les vigneron·ne·s rencontré·e·s peuvent le faire. Porté par le collectif de recherche-création Vin/Vivants composé d’une photographe (Emmanuelle Blanc[7]), d’un artiste doctorant en philosophie (Aurélien Gabriel Cohen) et de lui-même, ce projet de recherche située a tenté de saisir et de rendre sensible les pratiques des vigneron·ne·s[8]. Cela a donné lieu à une installation spécifique d’exposition[9]. De cette manière, toute personne pouvait éprouver cette singulière relation aux vivants. Au sein de l’exposition, la bande sonore visait à représenter une métaphore de la vie sur Terre et des relations interspécifiques grâce aux sons du vignoble : de la fermentation jusqu’aux écosystèmes (animaux, insectes, plantes, forêts, etc.) que l’on entend dans les vignobles.
Commencer par écouter ces levures et ces microbes est important car leur activité témoigne de pratiques agricoles douces, respectueuses des sols et des autres vivants ; nous avons là une tentative de collaboration entre humains et non-humain.
[10]. Bref, un rapport orphique. Pour ce faire, il faut se laisser initier par le vivant et en voici un résultat concret : un symbiote sous la forme d’une promesse portée par des microbes. Si nous ne parlons ici que d’une promesse, c’est que ces pratiques s’opposent d’une certaine façon à une monoculture qui a modelé nos goûts, nos affects, la relation des modernes aux êtres vivants et au monde, comme le concept de plantationocène forgé par Dona Haraway, Anna Tsing et Scott Gilbert[11] l’explique si bien. Pour ces vignerons, il s’agit dans la mesure du possible de rompre avec une certaine conception de la plantation : une seule espèce de plantes reproduites à l’infini, les autres formes de vie devant être neutralisées ou tuées à coup d’herbicides et de pesticides.
Quel intérêt de travailler sur le vin en France après l’Amazonie et les grandes conférences internationales ?
Tout d’abord, le vin est l’un des objets d’étude par excellence des géographes, notamment des plus conservateurs. C’était donc un très bon terrain pour faire de la gaïagraphie. Denis Chartier a travaillé avec des vigneron·ne·s proches de chez lui, dans la vallée du Cher et du Beuvron, non loin des terres de ses ancêtres paysans solognots. Cette démarche lui a permis de tisser des liens avec son père et les générations paysannes qui l’ont précédé, chose qui n’est pas dénuée d’une dimension réparatrice de l’anomie que peuvent provoquer des liens parfois si ténus entre des générations au mode de vie si différent. Pour les sciences sociales, l’histoire de la vigne se confond avec l’histoire d’une humanité, et du développement du capitalisme, car les levures sont l’un des premiers organismes domestiqués. Nous avons là un objet natureculture archétypal[12]. Quant au vin, il est un élément important de nos sociétés puisqu’il participe de la culture, l’alimentation, l’économie, etc. La production de vin n’a donc pas échappé à toutes les évolutions du monde qui peuvent être nommées plantationocène. Le secteur viticole est d’ailleurs l’un des premiers secteurs d’exportation en France.
Revenons aux levures, elles nécessitent beaucoup de soin pour déclencher la fermentation. Et cette forme de soin est pour le moment très minoritaire dans le secteur : sur les près de 80 0000 vignobles français, seulement 2000 produisent des vins naturels (peut-être un peu plus, il est très difficile d’en connaître le nombre exact). Les vins naturels sont normalement faits à partir de raisins biologiques, de vendanges manuelles, de levures indigènes, sans intrants œnologiques, sans filtration, sans recours aux techniques souvent qualifiées de brutales et ou traumatisantes pour les vivants. Là où l’on ajoute communément des sulfites, où tout est très contrôlé, où des levures sélectionnées remplacent parfois les levures indigènes qui ont été abandonnées, on préfèrera ne rien ajouter et ne rien retirer car tout est déjà présent dans le champ, dans le chai, dans les sols. Les techniques utilisées sont les plus douces possibles et l’ajout de sulfite, un antiseptique, est réduite par exemple au strict minimum, si ce n’est supprimé[13].
Ce mode de production est alors très risqué car il demande une très grande attention aux processus du vivant et de la vie. Pour revenir encore une fois aux microbes, il faut connaître et écouter les levures dans les processus de fermentation ; tout faux pas laisse le champ libre à de multiples processus incontrôlés déstabilisants. Différentes approches existent, plus ou moins interventionnistes, afin de réduire l’incertitude telles que des analyses biologiques pour identifier les espèces de levure présentes dans le processus de vinification. Souvent, cela rassure tout en confirmant ce que les vigneron·ne·s ressentaient. À tel point que certain·e·s ont arrêté cette procédure à cause de son inutilité, de sa source de stress et de son action inhibante vis-à-vis de la relation complexe et sensible à la levure.
Il faut donc avoir confiance dans la relation à ses levures. Ces processus nous dépassent complètement alors nous ne pouvons que les écouter, les sentir, et accompagner la vie de celles-ci sans jamais essayer de les maîtriser. Cette pratique est évidemment à rebours de pratiques agricoles conventionnelles. Il est important de faciliter la floraison des relations inter-espèces. Comme les levures de la cuve dépendent de celles du champ, il faut soigner le sol, la plante et les autres vivants. Ce soin implique de favoriser une grande diversité d’espèces au sein du domaine pour accroître ses chances d’obtenir un raisin sain et les bonnes levures. Plutôt que d’ajouter artificiellement de l’azote par exemple (via les fertilisants de synthèse), il est préférable d’assurer une fixation de l’azote dans les champs grâce à des plantes entre les rangs de vigne. Nous sommes là dans l’agroécologie et la permaculture. Nous sommes là dans une danse subtile avec les vivants.
Dans le cadre de cette recherche-création, des pièges photographiques ont été positionnés dans les vignes par Denis Chartier et Aurélien Gabriel Cohen. Ils ont permis de saisir que de nombreux animaux sauvages les parcourent. Cela a aussi révélé des choses surprenantes comme le fait qu’une ornière de tracteur, en temps de sécheresse, s’avère être un point de ralliement des animaux environnants pour accéder à l’eau qu’elle retient. Néanmoins, il ne faudrait pas croire que cette grande attention au vivant, cette cohabitation choyée, soit chose facile. Les espaces environnants restent dominés par la monoculture et les relations ne sont pas toujours bienveillantes. La relation interspécifique relève parfois de la guerre plutôt que de la danse. La Drosophilia susukii par exemple, une mouche venue d’Asie, pond ses œufs sur le raisin et transforme le moût en vinaigre. S’interdisant d’intervenir, les vigneron·ne·s en vins naturels sont donc parfois face à des situations très difficiles.
De plus, le changement climatique aggrave les difficultés. Un vigneron à la retraite avait connu deux gelées noires (gelée tardive qui tue les raisins en formation), son fils en activité en a déjà connu plus d’une dizaine. Face à cela, de petites éoliennes sont plantées dans les champs pour gagner quelques degrés... De manière générale, le changement climatique modifie subrepticement, mais remarquablement depuis quelques années, la microfaune et la microflore, à tel point que faire du vin devient de plus en plus difficile. Comme dans toutes symbioses, à l’instar du corps humain qui se détraque en l’absence de bactéries intestinales jouant le rôle d’alliés symbiotiques, le corps du vin se dégrade en l’absence des soutiens écosystémiques dans le champ. De ce fait, la production de vin se transforme : il s’agit désormais de « boire et vivre avec le trouble ». S’opposer à la politique de la plantation revient à changer aussi les goûts et les saveurs de manière à s’extraire de l’uniformisation industrielle contemporaine. Ces vins imposent leurs conditions qui dépendent notamment de la vie des microbes après leur embouteillage. Le vin peut alors devenir trouble, un trouble qu’il faut voir comme un signe de vitalité.
Denis Chartier est conscient d’avoir opéré dans ces explications une certaine simplification. Pour ne pas stigmatiser les vitiviniculteur·rice·s en conventionnel, il faut tout de même rappeler qu’elles et ils aiment et prennent soin de leur domaine et de leurs plantes. Cependant, il ne faut pas négliger que leur contexte technique, celui de la plantation, c’est-à-dire cette intense forme d’exploitation des milieux et de leurs habitants, affecte radicalement leur manière d’aimer et de prendre soin.
À l’inverse, les vigneron·ne·s natures tentent de s’opposer à une « épidémie de l’absence » et à un appauvrissement des échanges. En montrant avec cette recherche création ses méthodologies gaïagraphiques, Denis Chartier a aussi tenté de montrer ce qu’était faire de l’écologie politique orphique. Ici, faire du vin nature consiste à soigneusement mettre en résonance les microorganismes, les plantes, les animaux et les vigneron·ne·s. C’est une pratique qui s’appuie sur des savoirs écologiques, scientifiques, mais aussi sur d’autres savoirs vernaculaires où les microbes et d’autres vivants font faire des choses aux humains, et vice-versa. Cette belle tentative de sortie de la plantation est aussi une belle illustration de ce qu’est une écologie politique orphique.
Denis Chartier est géographe et artiste, Professeur à l’Université de Paris, membre du laboratoire Dynamiques sociales et recomposition des espaces (LADYSS). Il travaille depuis plus de vingt ans à identifier des réponses à la catastrophe écologique contemporaine. Auteur de nombreux articles scientifiques, il a notamment co-édité en 2016, aux Presses de Sciences Po, l’ouvrage Manifeste pour une géographie environnementale. Sa dernière exposition Des vivants, des vins, réalisée avec le collectif Vin/Vivants, s’est tenue à la Galerie de la Scène Nationale d’Orléans en février-Mars 2019.
Synthèse du séminaire par Loïs Mallet
Références
[1] J. Foyer (dir.), Regards croisés sur Rio+20. La modernisation écologique à l’épreuve, Paris, CNRS Éditions, 2015.
[2] Présentation de l’exposition « Gaïagraphie. Parcours Amazoniens », 20 janvier – 23 mars 2017, Espace Frans Krajcberg, Paris : media/articles/25afc9_91f2398749b4400db045b37649828f7d.pdf.
[4] I. Stengers, « Penser à partir du ravage écologique », in Émilie Hache (dir.), De l’univers clos au monde infini, Paris, Éditions Dehors, 2014, p. 147‑190. 14, p. 176-177.
[5] I. Stengers, Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient, Paris, Les empêcheurs de penser en rond - La Découverte, 2009.
[6] D. Chartier et E. Rodary (éd.), Manifeste pour une géographie environnementale : géographie, écologie, politique, Paris, Sciences Po Les Presses, 2016.
[8] Pour en savoir plus sur le collectif vin/vivant, voir : https://vin-vivants.com/index.php/a-propos-de/.
[9] E. Blanc, D. Chartier & A. G. Cohen, « Des vivants, des vins. Bricolages polyphoniques », in V. Boisvert, A. Choné & J. Foyer (dir), Les esprits scientifiques. Savoirs et croyances dans les agricultures alternatives, Grenoble, PUG, à paraître.
[10] D. Chartier, « The Deplantationocene. Listening to yeasts and rejecting the worldview of the plantation” in Brives C., Rest M., Sariola S. (ed.), With Microbes, Mattering Press, Manchester, à paraître.
[11] D. Haraway & A. Tsing, « Reflections on the Plantationocene », Edge Effects Magazine, June 18, 2019.
[12] D Haraway, Vivre avec le trouble, Éditions des mondes à faire, Lyon, 2020.
[13] C. Pineau, La corne de vache et le microscope. Le vin “nature”, entre sciences, croyances et radicalités, Paris, la Découverte, 2019.