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Faire alliance avec le vivant, contre les mégabassines et leur monde

25 juillet 2024

Un peu plus d’un an après la manifestation de Sainte-Soline, le collectif Bassines Non Merci et les Soulèvements de la Terre ont organisé à Melle, dans les Deux-Sèvres, du 16 au 21 juillet, un Village de l’eau. Durant cinq jours s’y sont tenues conférences, balades naturalistes et formations militantes. Les 19 et 20 juillet, malgré un important dispositif policier et des intimidations de la Coordination rurale, deux manifest’actions ont eu lieu, afin d’exiger un moratoire sur les bassines et l’arrêt des chantiers. Des membres de l’Institut Momentum y étaient présents et rendent compte de la mobilisation.

●      internationalisme écologiste et alliances inter-espèces

Plusieurs manifestations ont déjà eu lieu, au cours des deux dernières années, sur des sites directement concernés par la construction de méga-bassines. Mais il a cette fois été décidé de faire un pas de plus, en menant non seulement une action à Saint-Sauvant, où doit être érigée une réserve de substitution, mais aussi à la Rochelle, sur le port de la Pallice. En effet, comme l’expliquent les organisateur-ices du Village de l’eau dans un communiqué diffusé le 20 juillet, il s’agissait de remonter la chaîne de l’accaparement de l’eau : dans le Poitou, les méga-bassines doivent servir l’irrigation de cultures intensives de céréales destinées à l’exportation, via le Port de la Pallice. Celui-ci doit d’ailleurs être agrandi d’ici 2025. Nous sommes donc bien face à une seule et même dynamique agro-industrielle, extractiviste, qui menace tout à la fois les écosystèmes locaux, les paysan-nes, et la souveraineté alimentaire des territoires. Ainsi, ledit communiqué indique : “Au croisement des importations croissantes de soja et des exportations massives de céréales, des flux de pesticides et d’engrais chimiques, le port est un rouage stratégique de l’accaparement des terres, de l’eau, et de la valeur du travail agricole. Dans le système bassines, les irrigant-e-s sont bien peu de choses à côté des grosses sociétés qui les exploitent et les enserrent dans une dépendance économique et technique. Jadis aux mains des producteurs, les méga-coopératives sont elles aussi passées sous le contrôle de la finance.”

●      Une alliance avec le vivant pour désarmer une méga-bassine

La première action, à Saint-Sauvant et dans ses alentours, ne s’est pas déroulée sans difficultés. Les différents convois se rendant vers les bassines, en voiture ou à vélo, se sont heurtés à de très nombreux blocages et contrôles policiers, reculant le commencement de la manifestation de plusieurs heures. Alors que celle-ci débutait finalement, des tirs de grenades lacrymogènes ont enflammé un champ : les organisateur-ices, souhaitant éviter à tout prix de reproduire l’escalade violente qui avait déjà été observée à Sainte-Soline, ont donc décidé d’annuler l’action. Pourtant, parallèlement, un convoi cycliste, accompagné du collectif des Naturalistes des Terres, a pu arriver à proximité d’une méga-bassine devant profiter aux fermes-usines du groupe Pampr’oeuf. C’est alors que les manifestant-es ont expérimenté un désarmement naturaliste de l’infrastructure. Des cerf-volants ont en effet été lâchés dans le ciel, survolant les lignes policières et militaires éberluées, pour atteindre la méga-bassine… et y larguer un panier rempli de lentilles d’eau. L’action est certes symbolique, mais il se pourrait aussi que, très concrètement, cette espèce aquatique se développe au cœur de la bassine jusqu’à en bloquer le fonctionnement : une première victoire, donc, pour les activistes sur place. Ce type d’action, reposant sur une alliance avec des espèces végétales ou animales, avait déjà été mis en place lors de précédentes mobilisations. Par exemple, à proximité de Rouen, dans la forêt de Bord, menacée par un projet de construction d’autoroute, une mare avait été creusée dans l’espoir que s’y installent des tritons crêtés, une espèce protégée. L’objectif pourrait être ainsi résumé par Léna Balaud et Antoine Chopot, dans leur livre Nous ne sommes pas seuls : tenter d’ “agir avec la nature contre ceux qui l’effondrent”. 

●       Nasse et baignade à la Rochelle

Le 20 juillet, avant même que ne commence la seconde manifestation, le port de la Pallice a fait l’objet d’un “blocage paysan” par deux cents personnes, arrivées en tracteurs depuis l’Ile de Ré et se plaçant devant les locaux de l’entreprise Soufflé pour y empêcher l’accès, dès six heures du matin. Voilà une seconde victoire ! Plus tard dans la matinée, les manifestant-es se sont divisés en trois cortèges convergeant vers le port. Le premier se voulait populaire, le deuxième familial, le troisième avait pour spécificité d’être marin, un catamaran et quelques kayaks remontant la côte en direction du port. La marche populaire, traversant la ville, a rapidement fait l’objet d’une nasse (une “nasse” désigne l’encerclement du cortège par les forces de l’ordre, sans possibilité d’issue, pour une durée indéterminée et durant laquelle des grenades lacrymogènes peuvent être tirées), pratique pour laquelle la France a pourtant déjà été condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 2021. Sur le chemin côtier, le défilé familial s’est déroulé dans une ambiance largement plus festive, les manifestant-es rejoignant la mer pour s’y baigner tout en chantant. Les cortèges se sont finalement rejoints, se heurtant alors à une nouvelle nasse. 

●      Luttes locales, luttes internationales

Un compte-rendu des actions du weekend a eu lieu le soir même, et les premières prises de paroles étaient le fait de représentant-es de collectifs venus du monde entier (Mouvement des Sans-Terre du Brésil, PYD du Rojava, Mexique…). Les discours n’eurent de cesse de rappeler que les problématiques liées à la privatisation de l’eau se situent à une échelle planétaire. En fournissant de la ressource hydrique à des agricultures intensives tout entières tournées vers l’exportation, les méga-bassines se font le bras armé d’un système qui détruit les capacités d’auto-suffisance de peuples situés à des milliers de kilomètres de là. De fait, les unes et les autres (les femmes étant en forte majorité sur scène) ont appelé de leurs vœux un très nécessaire internationalisme, et ont rappelé la présence de plusieurs centaines de camarades venus de l’étranger durant les débats et actions. L’accaparement de la ressource en eau étant le fait de compagnies transnationales, dont l’emprise s’étend sur des territoires très éloignés les uns des autres, la situation nécessite une lutte internationale. 

L’internationalisme est une évidence : un moyen de lutter de façon conjointe, par la fraternité des peuples, alors que le capitalisme ne cesse de diviser, de fracturer les sociétés afin de faire perdurer son fonctionnement mortifère. Dans le cadre d’une lutte écologiste, l’internationalisme vient aussi souligner l’opposition frontale entre deux visions de la planétarité. D’un côté, la Terre comme Globe, où les mouvements qui la traversent sont réduits à des flux de marchandises et de capitaux. On le sait : dans le phénomène de globalisation, l’impérialisme économique Nord-Sud est une prolongation de la prédation coloniale. L’internationalisme écologiste vient opposer à cette violence économique une autre vision de la Terre, qui souligne l’intrication de l’échelon global et local. Sa nécessité ne souffre donc aucune contestation – le fait qu’il constitue le vecteur et l’horizon de toutes les luttes est ainsi très heureusement rappelé par la mobilisation portée par les Soulèvements de la Terre et le collectif Bassines Non Merci.