Les savants du passé qui parlèrent de “l’âge de l’homme” le firent en termes d’influences humaines sur “la face de la Terre” et non le Système Terre. Bien plus, les précédentes conceptions sont associées à une intelligibilité évolutionniste linéaire de l’expansion de l’influence géographique et écologique de l’humanité, tandis que l’Anthropocène représente une rupture radicale avec toutes les idées évolutionnistes de l’histoire de l’Homme et de la Terre, soulignent Clive Hamilton et Jacques Grinevald dans cette contribution présentée à Momentum par ce dernier à Paris le 13 février 2015.
Article publié dans The Anthropocene Review, 2015, 2(1), p. 59-72.
http://anr.sagepub.com/content/early/2015/01/28/2053019614567155.full.pdf+html
Par Clive Hamilton et Jacques Grinevald Traduction française par Jacques Grinevald
Résumé
Divers auteurs ont identifié des “précurseurs” du concept de l’Anthropocène, faisant référence, le plus souvent, à Antonio Stoppani, Vladimir Vernadsky et Pierre Teilhard de Chardin. Trouver des précurseurs a pour effet, intentionnel ou non, de dégonfler la signification de la nouvelle époque géologique proposée. Nous soutenons ici qu’il n’y avait pas de précurseurs à la notion d’Anthropocène, et qu’il ne pouvait pas y en avoir, parce que le concept d’Anthropocène (avancé en l’an 2000) est un produit de la récente intelligibilité interdisciplinaire de la Terre en tant que planète en évolution introduite dans les années 1980 par le Programme International Géosphère-Biosphère (International Geosphere-Biosphere Programme) et les sciences du Système Terre (Earth System Science). Les savants du passé qui parlèrent de “l’âge de l’homme” le firent en termes d’influences humaines sur “la face de la Terre” et non le Système Terre. Bien plus, les précédentes conceptions sont associées à une intelligibilité évolutionniste linéaire de l’expansion de l’influence géographique et écologique de l’humanité, tandis que l’Anthropocène représente une rupture radicale avec toutes les idées évolutionnistes de l’histoire de l’Homme et de la Terre; incluant l’effondrement de toute idée de progrès vers une étape supérieure (comme la ‘Noosphère’ de Teilhard).
Le mouvement déflationniste
Peut-on trouver dans la littérature, scientifique ou annexe, des précédents historiques pour le concept scientifique actuel de l’Anthropocène, ou l’avènement de la nouvelle époque est-il si récent que les scientifiques du passé n’ont pas pu le prévoir ? Dans leur bref article séminal, le chimiste de l’atmosphère Paul Crutzen et le géobiologiste Eugène Stoermer (2000) font référence à d’illustres prédécesseurs, notamment Antonio Stoppani, G. P. Marsh, Vladimir Vernadsky, Pierre Teilhard de Chardin et Edouard Le Roy, comme faisant partie des premiers à reconnaître le rôle croissant de l’humanité en tant que “force géomorphologique, géologique, significative”. Dans son article d’une page bien plus influent, “La géologie de l’humanité”, publié dans Nature, Crutzen (2002) avance qu’en 1873 déjà le géologue italien Antonio Stoppani se référait à “l’ère anthropozoïque”. Il ajoutait qu’en 1926 Vernadsky reconnaissait “l’impact croissant de l’humanité”, et, comme Teilhard de Chardin, employait le terme “noösphère”. Ces deux concepts, disait-il, sont des précurseurs de la prise de conscience de l’influence croissante de l’humanité sur l’histoire de la Terre.
Dans leur article de synthèse de 2011, “L’Anthropocène : perspectives historiques et conceptuelles”, Steffen et al. (2011) font référence à ces auteurs et certains autres (Bergson, 1907; Osborn, 1948; Schuchert, 1918; Sherlock, 1922), comme des antécédents de l’idée actuelle de l’humanité moderne en tant que nouvel agent géologique à l’échelle du globe, bien qu’ils mettent en garde contre l’établissement d’une équivalence avec d’anciens concepts. Dans l’ouvrage collectif de 2012, A Geological Time Scale, Zalasiewicz et al. (2012) présentent l’idée que les êtres humains sont “à l’origine d’une nouvelle époque géologique” comme une idée centenaire.
L’existence des précurseurs – de précédents concepts qui contiennent l’idée essentielle de l’Anthropocène ou forment une étape importante de son émergence – est maintenant bien établie. Dans le numéro de mars 2012 de Global Change, IGBP, un article intitulé “L’Anthropocène : Une époque de notre fabrication” contient un encadré sous le titre : “L’émergence d’un paradigme”. Il s’ouvre avec l’assertion suivante : “Le concept de l’Anthropocène s’est présenté lui-même dans la littérature scientifique depuis plus d’un siècle sous diverses formes” (Syvitski, 2012). Sur le site web de la Commission de stratigraphie et de géochronologie de l’Union internationale pour la recherche sur le Quaternaire on peut lire :
“Bien que le terme ‘Anthropocène’ soit une invention récente, il a des précurseurs. Le premier fut proposé par le géologue italien Antonio Stoppani qui reconnaissait les effets croissants que les humains avaient sur les systèmes de la Terre. Il proposa le terme d’ère Anthropozoïque pour le période récente. Cependant, cela fut ignoré. D’autres tentatives terminologiques éventuelles incluent le Psychozoïque, proposé par l’Américain Joseph LeConte en 1879, et la Noösphère forgée pour cette période en 1926 par Vladimir Vernadsky et Pierre Teilhard de Chardin“ (INQUA, 2014).
L’opinion répandue selon laquelle l’Anthropocène a été prévu par des scientifiques du 19e et du début du 20e siècles peut se lire en bien d’autres endroits (par ex. Balter, 2013; Baskin, 2014; Bonneuil et Fressoz, 2015). Bien que les auteurs du présent article acceptèrent initialement cette opinion, à présent, après une réflexion critique et une relecture des sources historiques, nous ne sommes plus d’accord avec cette phylogénie intellectuelle.
La recherche de précédents historiques est souvent valable et intéressante, mais pour la compréhension de la construction de la connaissance scientifique, rechercher des précurseurs peu se révéler périlleux et trompeur, spécialement si on néglige la sémantique historique, “la logique de rétrospection” de Bergson et les “révolutions scientifiques” de Kuhn. Notre argument est que ni les idées de Vernadsky ni les idées de Teilhard, qui elles-mêmes étaient nettement différentes (Levit, 2000), ni celles de tout autre penseur du passé, étaient un “précurseur de la notion de l’Anthropocène” (Guillaume, 2014; voir aussi Davis, 2011), à cause de la nouveauté de l’intelligibilité de la Terre sur laquelle elle est basée. A fortiori, les prédécesseurs de Vernadsky et de Teilhard ne peuvent être des précurseurs de l’Anthropocène. Avant d’examiner les idées de ces prétendus précurseurs, voici le coeur de notre argumentation : les savants du 19e et de la première moitié du 20e siècles ne possédaient pas le concept scientifique moderne du Système Terre dont l’Anthropocène est un produit (Ehlers et Kraft, 2006; Graedel et Crutzen, 1993; Steffen et Tyson, 2001; Steffen et al., 2004). Nous suggérons qu’en se référant aux précurseurs, peut-être pour renforcer la crédibilité du nouveau concept en le situant à l’intérieur d’une respectable tradition (“Sur les épaules des géants”), les premiers promoteurs de l’Anthropocène sapèrent involontairement la nouveauté radicale du concept et l’actualité de la nouvelle époque géologique proposée.
L’essor des sciences du Système Terre
Bien entendu, le thème de l’homme comme maître de la nature a une très longue histoire. Il est, selon certains, inhérent au Christianisme (Noble, 1998; White, 1967), et constitue une part essentielle de “l’essor de la puissance de l’Occident” (Daly, 2014) à la suite de ce qu’on appelle les révolutions scientifique et industrielle. En Russie, spécialement sous le régime soviétique (Josephson, 2002), le thème d’une nouvelle “ère de l’homme” dans l’histoire de la Terre (“l’Anthropogène”) était bien connu. Mais toutes ces idées appartiennent à la période géologique du Quaternaire, non à la proposition d’une discontinuité Holocène-Anthropocène (Wolfe et al., 2013).
Contrairement à Crutzen et aux premiers promoteurs de l’Anthropocène, les savants du passé n’étaient pas préoccupés par des phénomènes planétaires comme des hivers nucléaires catastrophiques ou une altération de la couche d’ozone stratosphérique par des produits chimiques de synthèse. Les géants de l’Histoire naturelle, lorsqu’ils pensaient à l’homme civilisé en tant que force géologique, vivaient dans un monde qui ignorait la perturbation du cycle global de l’azote, un événement d’extinction massive, et des changements climatiques planétaires dûs à des modifications de la composition chimique de l’atmosphère. La découverte du trou d’ozone de l’Antarctique fut une surprise complète; avant le milieu des années 1980, ce n'était rien de plus qu’une hypothèse théorique controversée (Crutzen, 1995, p. 105-111; Graedel and Crutzen, 1993, p. 1-3). Pour Crutzen et ses collègues chimistes de l’atmosphère qui travaillaient dans le domaine des conséquences environnementales de la guerre nucléaire et l’émergence des sciences du Système Terre, la crise de l’ozone fut un “énorme choc” (Crutzen and Müller, 1989, p. 28), un état d’urgence planétaire soudain bien plus surprenant que “l’effet de serre” anthropogénique et le réchauffement planétaire (Schneider, 1989).
Les fondements du développement des sciences du Système Terre furent posés dans les années 1950, durant la Guerre froide (Edwards, 2010; Hamblin, 2013). L’océanographie et les sciences de l’atmosphère furent transformées et globalisées. L’écologie des écosystèmes a été développée dans les années 1960, notamment dans le cadre de la Radiation Ecology Section du Oak Ridge National Laboratory (ORNL), un produit du Projet Manhattan (Bocking, 1997; Coleman, 2010). L’ORNL devint un important centre pour l’étude du problème CO2–énergie–climat. Le Carbon Dioxide Information Analysis Center (CDIAC) a été fondé en 1982, dans le cadre de la division des sciences de l’environnement de l’ORNL. La modélisation biophysique de la Biosphère (héritage de Vernadsky) fut développée dans les années 1980 par des chercheurs russes en collaboration avec des collègues occidentaux à l’International Institute for Applied Systems Analysis (IIASA) et plus tard au Potsdam Institute pour le climat (Jørgensen, ed., 2010).
La méthodologie de simulation sur ordinateur de la Dynamique des Systèmes a été dévelopée par Jay W. Forrester au MIT dans les années 1950, et appliquée aux systèmes sociaux, avec son extension au fonctionnement de la Terre en tant qu’ ”écosystème mondial” complexe à la suite d’une invitation du Club de Rome en 1970, conduisant à la publication en 1971 de World Dynamics (Forrester, 1971). Sa suite furieusement controversée, The Limits to Growth, fut publiée par le Club de Rome l’année suivante (Meadows et al., 1972; voir aussi Georgescu-Roegen, 1975). Les bases ont été établies avec l’Année Géophysique Internationale en 1957-1958 (Grinevald, 1990), incluant le lancement des premiers satellites artificiels pour l’observation des changements à l’échelle du globe, le début des mesures de Charles David Keeling à l’Observatoire du Mauna Loa à Hawaii des variations du dioxyde de carbone dans l’atmosphère (Keeling, 1970), et les révélations, dès le début des années 1980, des forages de carottes de glace dans l’Antarctique (Jouzel et al., 2013).
Les études biogéochimiques n’étaient pas complètement nouvelles (Hutchinson et al., 1970), mais les programmes d’envergure mondiale sur les cycles biogéochimiques ne furent lancés que dans les années 1970, après la création du Scientific Committee on Problems of the Environment (SCOPE) en 1969 par le Conseil International des Unions Scientifiques (ICSU), avant la Conférence de Stockholm de 1972 (la première méga-conférence des Nations Unies sur “l’environnement humain”). Les rapports du SCOPE sur le cycle global du carbone et les autres cycles biogéochimiques, l’effet de serre et le changement climatique (Bolin et al., 1986) jouèrent un rôle décisif avant les premiers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC/IPCC en anglais) publiés depuis 1990. Le GIEC (IPCC) fut créé en 1988 par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE).
La première Conférence mondiale sur le climat, conférence d’experts “sur le climat et l’humanité”, s’est tenue en février 1979 à l’OMM à Genève. Conjointement avec l’ICSU et le PNUE, l’OMM lança le Programme climatologique mondial pour succéder au Programme de recherches sur l’atmosphère global (GARP). Initié par la communauté des géophysiciens et des sciences de l’espace des Etats-Unis, le nouveau paradigme des sciences du Système Terre (Earth System Science) émergea dans les années 1980 et prit forme institutionnellement avec l’International Geosphere-Biosphere Programme. A Study of Global Change (ICSU, 1986; NRC, 1983). Ce ne fut pas avant 1986 – deux ans avant la création du GIEC (IPCC) – que l’Assemblée générale de l’ICSU lança officiellement le Programme International Géosphère-Biosphère (IGBP), le coeur institutionnel de l’écologie globale et de l’approche systémique de la planète Terre (Grinevald, 1990; ICSU, 1986; Steffen et Tyson, 2001), après les premières initiatives de la NASA (Conway, 2008).
Cette manière de penser était si nouvelle que lorsque dans les années 1970 James Lovelock et Lynn Margulis (1974) introduisirent “l’hypothèse Gaïa” de la coévolution de la Terre, du climat et de la vie, l’establishment scientifique (à de rares exceptions) la rejeta. Plus tard, Lovelock découvrit Vernadsky et le salua, lui et Hutton, comme ses plus illustres prédécesseurs, précurseurs de l’idée de la “géophysiologie” de la Terre (Grinevald, 1988; Lovelock, 1988, p. 9-11).(1)
Dans l’histoire des sciences et l’histoire des idées, la recherche des précurseurs, dans sa forme extrême le fameux precursitis [“the precursitis virus”, Joseph T. Clark, S.J., 1959 (J.G.)], est bien connu et souvent dénoncé, notamment par A. Koyré (1961, p. 79) et G. Canguilhem (1968, p. 20). C’est fréquemment une erreur sémantique et historiographique ; c’est aussi, comme nous le soutenons en l’occurrence, une confusion involontaire de deux manières incompatibles de comprendre le monde (et donc une faute épistemologique). Mis à part ces erreurs, l’effet de trouver des précédents historiques est, qu’on le veuille ou non, d’affaiblir le concept d’Anthropocène, de lire l’avenir de la Terre dans son passé et de minorer sa signification et sa nouveauté en le présentant juste comme une autre manifestation d’une longue tradition intellectuelle, alors qu’en fait l’Anthropocène représente, selon ceux qui l’avancèrent initialement, une dangereuse dérive, et une rupture radicale dans l’histoire de la Terre. Cette rupture signifie que l’Holocène ne peut être, géologiquement et intellectuellement, un guide pour l’Anthropocène. L’hypothèse du “précoce Anthropocène” (Ruddiman, 2003) et le vernis du “bon Anthropocène” (Ellis, 2011) peuvent aussi être comptés comme des mouvements déflationnistes, l’un parce qu’il considère la nouvelle ère largement coextensive avec l’Holocène et l’autre (construit sur le premier) parce qu’il présente la nouvelle ère comme une extension de l’activité humaine remontant à des milliers d’années. Tous les deux privent la nouvelle époque géologique de son pouvoir. L’élision des modifications du temps (qui commencent au 19e siècle) et des propositions modernes de géo-ingénierie tel que la dispersion d’aérosols soufrés (par ex. Fleming, 2010) est une autre manifestation de la thèse continuiste.
L’ère Anthropozoïque
Bien que maintenant largement oublié, l’abbé Antonio Stoppani (1824-1891) n’était pas ignoré en son temps (Zanoni, 2014). Patriote italien et cofondeur de la Société italienne de géologie, son Corso di Geologia, publié en trois volumes en 1871-1873, fut très populaire (bien que rapidement démodé à cause de ses idées anti-darwiniennes). Dans le volume sur la stratigraphie, Stoppani introduisit l’idée originale de l’èra antropozoïca, écrivant qu’avec “la création de l’Homme” comme d’un élément divin et absolument nouveau dans l’histoire de la Terre, “l’Homme civilisé” (par opposition aux païens de l’Antiquité) est devenu “une nouvelle force tellurique qui, par sa puissance et son universalité, se compare aux plus grandes forces du globe” (Stoppani, 1873, p. 732).(2) La nouvelle géologie humanisée de Stoppani fut suffisamment frappante pour attirer l’attention de George Perkins Marsh (le ministre plénipotentiaire de Lincoln dans le nouveau royaume d’Italie) dont le livre de 1874, The Earth as Modified by Human Action (une nouvelle édition de son livre de 1864, Man and Nature) a eu une influence durable.
“Dans un précédent chapitre, j’ai parlé de l’influence de l’action humaine sur la surface du globe comme immensément supérieure en degré à celle exercée par les bêtes, si elle n’est pas essentiellement différente dans son genre. L’éminent géologue italien Stoppani va plus loin que je me suis aventuré à le faire, et traite l’action de l’Homme comme un nouvel élément physique entièrement sui generis. Selon lui, l’existence de l’Homme constitute une période géologique qu’il nomme l’ERE ANTHROPOZOÏQUE. “La création de l’Homme”, dit-il, “fut l’introduction d’un nouvel élément dans la nature, d’une force totalement inconnue des périodes précédentes.” (Marsh 1874, p. 609)
L’idée de “l’Homme civilisé” de Stoppani est en fait une notion ethnocentrique et de tradition religieuse, cohérente avec son temps et sa foi. Il publia plus tard un livre “scientifique” créationniste intitulé Cosmogonia Mosaica (Stoppani, 1887). Ses perspectives stratigraphiques et religieuses n’en faisaient qu’une ; comme le géologue et paléontologue jésuite Teilhard plus tard, Stoppani était un ardent défenseur du concordisme entre la Science et la vision chrétienne de l’Homme et de la Nature. Suivant l’interprétation médiévale occidentale de la Bible, cette “nouvelle force tellurique” créa, selon la volonté de Dieu, une nouvelle période dans l’histoire de la Terre. Un siècle auparavant, dans son grand livre Les Epoques de la nature, le Comte de Buffon (1788) interpréta et sécularisa les six jours de la Création en six longs épisodes de l’histoire naturelle de la Terre, la “septième et dernière époque” étant l’âge de l’Homme “lorsque la puissance de l’Homme a secondé celle de la Nature”. Mais Buffon (comme James Hutton et James Watt) appartenait aux “Lumières industrielles” (Mokyr, 2002, chap. 2 : [The Industrial Enlightenment]), pas à la révolution thermo-industrielle, plus tardive, de l’Occident impérialiste (Grinevald, 1990).
En 1873, l’année même où Stoppani parle de l’ère anthropozoïque, un géologue suisse, Eugène Renevier (1873), introduisit dans son travail de nomenclature la ‘Période Anthropique’.(3) A l’époque, les notions modernes de “biosphère”, “écosphère”, “crise écologique”, “révolution de l’environnement”, “réchauffement planétaire”, “Global Change”, et, par-dessus tout, la Terre en tant que système complexe en évolution, n’existaient pas (Kump et al., 1999). Cela en dépit des critiques précoces des dégats environnementaux des machines et de l’industrialisme, des villes industrielles très polluées, de la déforestation et de la dégradation locale des paysages (Bonneuil et Fressoz, 2015; Locher et Fressoz, 2012). Les changements climatiques étaient une affaire de pollution acide ou de déforestation locale, et non une préoccupation scientifique pour “l’habitabilité de la planète” (Goody, 1982). Personne ne pensait à une dérive dangereuse de la Terre en tant que système (Falkowski et al., 2000). La Biosphère de la Terre entendue comme un concept holistique attendait encore Vernadsky (Grinevald, 1998; Polunin et Grinevald, 1988; Vernadsky, 1998) et, finalement, Lovelock (Bruce, 1990). A l’époque de Stoppani, et même à celle de Vernadsky et Teilhard, aucun groupe de travail scientifique n’étudiait la perturbation anthropogénique des cycles biogéochimiques (ou grands cycles biosphériques) ou leurs intéractions avec la dynamique globale de l’atmosphère et du changement climatique.
La résistance à l’hypothèse Gaia dans les années 1970 et 1980 provenait de la même intelligibilité classique de la surface de la Terre que celle qui avait conduit au rejet de la théorie de la dérive des continents d’Alfred Wegener au cours des années 1920-1950. A l’époque de Stoppani, on imaginait que les transformations de la Terre s’opéraient d’une manière cyclique stable (comme dans la Théorie de la Terre de Hutton et la géologie uniformitarienne de Lyell). Vernadsky aussi était huttonien dans sa manière de penser la géologie. Teilhard, comme ses collègues (notamment Pierre Termier), considérait Wegener comme un rêveur. La stabilité de la Terre était le paradigme commun des scientifiques avant la tardive “révolution wégenérienne”. Depuis Charles Lyell (1830-1833) et Louis Agassiz (1840), le changement climatique, excepté au niveau local, était une caractéristique du passé (notamment le Pléistocène), pas pour l’avenir proche. Avant le forage des carottes de glace du Groenland et de l’Antarctique dans les années 1980 et l’extraordinaire découverte de la corrélation entre les concentrations de dioxyde de carbone et les oscillations de la température (Barnola et al., 1987), couplée avec “la courbe de Keeling” qui n’attira une large attention dans la communauté scientifique que dans les années 1970(4), on n’avait aucune preuve d’un quelconque métabolisme à l’échelle mondiale (Volk, 2003). L’idée d’une géophysiologie de la Terre était encore une absurdité scientifique. En fait, l’insistance des sciences du Système Terre sur l’importance de la structure, du fonctionnement et de l’évolution de la Biosphère de la Terre considérée comme un tout resta une nouveauté dans la communauté scientifique internationale jusqu’à la fin des années 1980 (Huggett, 1999; Jørgensen, ed., 2010; Polunin and Grinevald, 1988). En bref, depuis les dernières décennies du 19ème siècle l’intelligibilité de l’environement global par les sciences de la nature a connu une profonde transformation, une révolution scientifique qui n’est pas encore complètement reconnue.
Bien que l’impact humain sur la Terre était un thème bien connu de la pensée naturaliste et géologique depuis l’époque de la révolution industrielle de l’Occident (Glacken, 1956), il n’y avait aucune anticipation de l’Anthropocène dans son sens actuel. “L’ère anthropozoïque” de Stoppani et nombre de variantes – la “Période Anthropique” de Renevier (1873), “l’ère psychozoïque” de Joseph LeConte (1877) et Charles Schuchert (1918), “l’Ère de l’Esprit – l’Age de l’Homme” de James Dwight Dana (cité par Vernadsky, 1945), la Noosphère de Teilhard – désignaient l’impact de l’action humaine sur “la face de la Terre” plutôt que sur la planète Terre en tant que système complexe en évolution. Le concept du Système Terre – avec la perturbation anthropogénique des grands cycles biosphériques ou biogéochimiques – est l’élaboration d’un autre siècle (Grinevald, 1987, 1990, 1998; Jacobson et al. 2000; Mackenzie et Mackenzie, 1998).
A la place, pour Stoppani et ceux qui le suivirent, la nouvelle ère de l’histoire naturelle de la Terre était définie par la manière dont les êtres humains avaient transformé le paysage et, dans certains cas, les climats locaux (Locher and Fressoz, 2012), laissant un impact que les géologues de l’avenir pourraient redécouvrir mais qui en lui-même n’était pas la preuve d’une nouvelle époque géologique. Pour Stoppani, la première trace de l’Homme moderne marque le commencement de l’ère anthropozoïque (ouvrant sur un avenir prométhéen), mais la ressemblance des noms ne doit pas nous conduire à la confondre avec l’Anthropocène. Un mot n’est pas un concept, et les concepts changent. Cela est spécialement vrai si on considère que le début de l’Anthropocène se situe plus tard que celui qui a été initialement proposé ; c’est-à-dire, non avec le début de la révolution industrielle européenne (symbolisée par la machine à vapeur de Watt) à la fin du 18ème et au début du 19ème siècle mais après la Seconde Guerre mondiale. Jan Zalasiewicz et une vingtaine de coauteurs (dont J.G.) ont récemment soutenu qu’on peut dire plus raisonnablement que la nouvelle époque a commencé avec l’explosion de la première bombe atomique du monde, le 16 juillet 1945 à Alamogordo, dans le Nouveau Mexique, aux USA (Zalasiewicz et al., 2014; voir aussi Waters et al., à paraître). C’était le commencement de “l’âge nucléaire”, qui coincide effectivement avec la “Grande Accélération” et toutes ses conséquences, mais il était encore trop tôt pour qu’on le comprenne comme une nouvelle époque géologique. La preuve n’était pas disponible.
La noösphère
Le grand naturaliste russe Vladimir Vernadsky (1863-1945), pédologue et minéralogiste, était le créateur de la nouvelle science de la biogéochimie en tant que sous-discipline de la géochimie. Ecrivant dans les années 1920, il a eu une remarquable prescience dans sa compréhension de la biosphère de la Terre en tant que produit de l’activité biogéochimique de la “matière vivante”. Il décrivit une zone s’étendant du plus haut point qui soutient la vie dans l’atmosphère à cette partie supérieure de la lithosphère (principalement les sols), incluant l’hydrosphère (principalement les océans), qui supporte toute la vie. Ses idées (en partie censurées ou inédites) évoluèrent dans les années 1930. Devançant la science moderne de l’écologie des écosystèmes et inspiré par L’Evolution créatrice de Bergson (Bergson, 1907) et ses propres premières études biogéochimiques, Vernadsky concevait l’impact humain sur la planète Terre comme “l’activité géochimique de l’humanité”, modifiant la circulation des éléments dans toute la biosphère (Vernadsky, 1924). Cependant, bien que sa “Biosphère dans le cosmos” (Vernadsky, 1929, 1998) fût physiquement et conceptuellement plus épaisse et plus dynamique que la plupart des autres (Grinevald, 1987, 1988; Polunin and Grinevald, 1988), c’était finalement une enveloppe biogéologique, la force géologique la plus active sur “la face de la Terre”, plutôt qu’une composante coévolutive du Système Terre lui-même. On doit noter que la science biogéochimique de la Biosphère en évolution de la Terre de Vernadsky est encore mal connue et n’a été l’objet de discussions savantes que récemment, souvent dans la perspective de la controverse sur Gaïa et l’émergence de la crise écologique (Grinevald, 1987, 1988; Huggett, 1999; Samson et Pitt, 1999; Vernadsky, 1998).
Vernadsky développa l’idée de “l’activité géochimique de l’humanité” dans son livre de 1924, La Géochimie, publié à Paris à la suite de ses conferences, comme professeur invité, à la Sorbonne en 1922-1923 (La Biosphère fut écrite en 1925, et publié en russe en 1926). Impressionné par ce qu’il voyait comme “l’influence de la conscience et de la raison humaine collective” sur la biosphère, Vernadsky fit un pas au-delà de la biogéochimie pour penser à “notre époque géologique – [une] ère psychozoïque, ère de la Raison” (Vernadsky, 1924, p. 342). Néanmoins, il garda toujours son idée de la conscience collective attachée aux processus biogéochimiques qui étaient le travail de sa vie, de sorte que “l’influence de la conscience et de la raison humaine collective” (incluant principalement le progrès technique et la recherche scientifique) s’exerçait toujours par une créature appartenant à la biosphère en évolution. Pour lui, la formation de la noösphère était la “dernière des nombreuses étapes dans l’évolution de la biosphère” et se manifestait par la transformation humaine de sa géochimie, incluant la transmutation de ses éléments, une tâche imprégnée de promesse utopique (Vernadsky, 1945, 2005).
Le mot “noosphère” fut utilisé pour la première fois dans une publication par le professeur de philosophie Edouard Le Roy (1870-1954), mais il fut probablement forgé par son jeune ami, le prêtre jésuite, géologue et paléontologue, Pierre Teilhard de Chardin, à la suite de sa lecture enthousiaste de La Face de la Terre d’Eduard Suess (dont le volume final, rappelant sa notion de “biosphère”, fut publié en français en 1918). Le Roy, mathématicien devenu philosophe et disciple de Bergson, s’inspirait explicitement de discussions personnelles avec Teilhard et Vernadsky (Le Roy, 1927, 1928).(6) Il citait ou paraphrasait un essai inédit sur “L’Hominisation” daté du 6 mai 1925 (Teilhard de Chardin, 1957). La notion a émergé après les conférences à la Sorbonne de Vernadsky, publiées dans La Géochimie (Vernadsky, 1924).(7) Mais ce n’est qu’après la publication du livre de 1927 de Le Roy sur les notions teilhardiennes de biosphère et de noosphère que Vernadsky adopta le terme de noosphère (Vernadsky, 1997, 2005), cependant, comme nous le montrons plus bas, avec un sens très différent. Vernadsky publia sa Biosfera à Leningrad en 1926 (Vernadsky, 1998), après sa rencontre avec Teilhard et Le Roy. Teilhard (plus tard exilé en Chine) et Le Roy ignoraient le livre français intitulé La Biosphère (Vernadsky, 1929; voir Grinevald, 1987, 1988), et, bien entendu, l’édition russe de 1926. Cette chronologie fut la source des malentendus qui suivirent.
Teilhard de Chardin mélangeait une foi dans la puissance de l’Esprit de l’âge des Lumières avec un nouveau grand récit chrétien de la Cosmogénèse–Biogénèse, et finalement, de l’Anthropogenèse. Pour lui l’Evolution représentait la montée de la Complexité-Conscience. La Noosphère (de nous, l’esprit en grec, et se prononce no-osphère) est le troisième et dernier grand stade de la Big History – après les stades du minéral (Géosphère) et de l’organique (Biosphère) – et qui a atteint il y a un ou deux siècles un état si avancé de développement qu’elle s’est séparée des humains incarnés pour flotter dans un niveau supérieur. Pour le Jésuite Teilhard, la Noosphère, l’enveloppe pensante de la Terre, “à partir et au-dessus de la Biosphère” (Teilhard de Chardin, 1959, p. 203) a, comme sa biosphère zoocentrique, une tendance irréversible au progrès, une dérive évolutive qui pointe vers une destination, le point Oméga, “la maturation ultime et l’extase de l’Humanité” (Teilhard de Chardin, 1959, p. 156).
Vernadsky et Teilhard utilisaient les termes “biosphère” et “noosphère” de manières radicalement différentes. Après tout, l’un était le fondateur soviétique russe de la biogéochimie et de la science interdisciplinaire de la biosphère (dans son sens planétologique et écologique global), et l’autre était un prêtre jésuite, un géologue de la croûte continentale, un paléoanthropologue, un visionnaire évolutionniste et un mystique cosmique. Leurs sens de la noosphère dérivaient de leurs conceptualisations de ce qu’est la Terre en tant que planète et comment elle se meut. Même leurs concepts de biosphère ne sont pas du tout similaires. La confusion entre Vernadsky et Teilhard est surtout une reconstruction récente, et après leur disparition, respectivement en 1945 et 1955, et également à cause de la publication tardive de leurs oeuvres en traduction. L’élision est spécialement manifeste dans les travaux d’ardents supporters de Teilhard comme Ludovico Galleni (1995) et le regretté Père Thomas Berry (1988) (et dans la lecture orientaliste de Ken Wilber (2000)) qui font la promotion d’un nouveau concordisme entre écologie et théologie, c’est-à-dire une association de l’évolutionnisme et de la venue du Christ cosmique.
Que ce soit la variété supra-terrestre ou mondaine, la noosphère émergea de la pensée évolutionniste après la Grande Guerre de 1914-1918. C’est lamarckien (plutôt que darwinien) dans le sens que la noosphère se développe progressivement comme un stade supérieur de l’évolution dirigée de la biosphère ; mais c’est aussi dans les mains de Teilhard une tendance hégélienne vers une force collective nommée la Pensée ou l’Esprit au-delà de tout processus de sélection naturelle et qui possède sa propre dynamique.
Vernadsky aussi bien que Teilhard comprenaient l’Evolution comme un processus dirigé vers des niveaux de plus en plus élevés de céphalisation (le développement du système nerveux central culminant dans la croissance continue du cerveau humain) et de conscience. Ils voyaient le développement de la vie intelligente, y compris la technique et la recherche scientifique, comme une loi inscrite dans une cosmogénèse (Teilhard) ou dans l’évolution de la biosphère de la planète Terre (Vernadsky). Tandis que tous deux extrapolaient à partir de l’évolution biologique et du progrès technique de l’espèce humaine, Teilhard fit un saut métaphysique des processus terrestres de sélection biologique et de complexité à une conception de l’évolution collective de la Conscience, qui possède des aspects à la fois immanents et transcendants, une dimension humaine interne et une dimension cosmique externe. Une telle idée était étrangère à Vernadsky pour qui la noosphère reste toujours dans les limites de la Terre, comme un élément de son évolution biogéochimique. Si la noosphère reste à l’intérieur de la biosphère, c’était “la biosphère remodelée par la pensée scientifique” (Levit, 2000). C’est une étape évolutive plus élevée sans point final terrestre ou transcendant, seulement l’influence humaine davantage répartie sur la planète, une influence qu’il considère comme une force positive, comme notre destinée prométhéenne (Guillaume 2014).
Mais que ce soit dans la conception mystique de Teilhard ou la conception plus matérialiste de Vernadsky, les deux versions de la noosphère étaient des produits de la pensée évolutionniste occidentale dans laquelle l’Homme civilisé emerge comme une force géologique de manière incrémentale dans le temps profond [deep time]. Ce fait différencie nettement toutes les notions de noosphère de l’arrivée soudaine de l’Anthropocène.
Le caractère exceptionnel de l’Anthropocène
Nous ne sommes pas en train de dire que la découverte de “précurseurs” est déflationniste à cause du credit qui est accordé aux précédents penseurs, mais que la référence à des auteurs du 19e et du début du 20e siècle situe l’origine et la nature de l’Anthropocène dans un monde qui n’est pas encore le Système Terre, définissant ainsi la compréhension de l’Anthropocène dans les processus d’altération humaine du paysage et des transformations dans le fonctionnement des écosystèmes. De cette façon on “gradualise” la nouvelle époque de sorte qu’elle n’est plus une rupture due principalement à la combustion des combustibles fossiles mais à un phénomène rampant dû à l’expansion incrémentale de l’influence humaine sur le paysage. Cela interprète mal la soudaineté, la sévérité, la durée et l’irréversibilité de l’Anthropocène, conduisant à une sérieuse sous-estimation et une fausse caractérisation du genre de réponse humaine nécessaire pour ralentir son mouvement et améliorer ses impacts.
La Terre en tant qu’ “écosystème” complexe total, qui inclut le système climatique planétaire, est un concept interdisciplinaire et paradigmatique très récent développé dans les années 1980 et 1990, et adopté officiellement par l’IGBP et d’autres programmes d’envergure mondiale de la coopération scientifique internationale seulement avec la “Global Change Open Conference” à Amsterdam en juillet 2001 (Grinevald, 2007, p. 247-248; Steffen et al., 2004). La perturbation humaine du Système Terre dans sa totalité n’était pas observable au 19ème siècle. Bien qu’Arrhenius conçut dans les années 1890 l’altération anthropogénique de l’effet de serre, c’était une théorie sur “l’acide carbonique et les périodes glaciaires” plutôt qu’une forme précoce de science du Système Terre (Crawford, 1997). Arrhenius lui-même (1896) faisait remonter l’histoire de l’effet de serre à Tyndall, Pouillet et Fourier. Leur travail soulignant la possibilité d’un globe réchauffé n’est pas la même chose que l’argument selon lequel l’élévation du CO2 peut perturber le Système Terre en tant que totalité.
En histoire des sciences, on peut souvent redécouvrir la “préhistoire” d’un problème résolu plus tard avec une autre approche. Les grandes nouvelles idées ou nouvelles questions sont rares mais surviennent et les notions de Système Terre et d’Anthropocène en sont des exemples. Même à l’époque de la “révolution de l’environnement” dans les années 1970, ce n’était pas évident. Le concept intégré et holistique de la Terre comme écosystème total ou écosphère (Huggett, 1999), l’idée de notre planète “vivante” en évolution, n’était pas disponible pour la conscience humaine avant les missions Apollo de la NASA et l’hypothèse Gaïa de Lovelock-Margulis (Grinevald, 1987, 1988; Lovelock, 1979, 1988). Ce tournant historique de notre prise de conscience de notre Terre toute entière (our whole Earth) est à présent bien documenté, notamment par Denis Cosgrove (2001) et Robert Poole (2008).
Quand on compare les premières visions d’une Terre humanisée avec l’avènement de l’Anthropocène, plusieurs différences sautent aux yeux. Comparé à la noosphère (au sens de Teilhard), l’Anthropocène est à la fois plus, parce qu’il est le fait d’une perturbation du Système Terre plutôt que de la biosphère ou du paysage, et moins, parce qu’il est construit sur la perturbation du Système Terre et n’est pas situé comme une “sphère” dessus ou au-delà de lui.
De manière cruciale, tandis que l’anthropozoïque de Stoppani et la noosphère de Vernadsky et de Teilhard représentent des extrapolations évolutionnistes – c’est-à-dire fondées sur le postulat de l’inévitable avancement du progrès – l’Anthropocène est une rupture très mal accueillie, pas tant une régression mais un effondrement radical de toute idée de progrès vers un stade supérieur. Il représente donc une critique implicite à tous ceux qui se permettent des extrapolations, qu’elles soient enracinées dans l’évolution, des étapes de la conscience ou de la croissance économique illimitée. L’Anthropocène est une nouvelle dérive anthropogénique dans l’histoire naturelle de la planète Terre plutôt que le nouveau développement d’une biosphère anthropocentrique. Pour tous les perfectionnements de sa notion biogéochimique et cosmologique de la biosphère, Vernadsky n’a pas pu anticiper l’émergence du mode d’intelligibilité des sciences du Système Terre. Il ne pouvait pas prévoir le fossé qui la sépare les sciences du Système Terre de l’écologie classique, ce qui requiert un saut de “la pensée écologique – la science des relations entre les organismes et leurs milieux – à la pensée de la Terre en tant que système, la science de la totalité de la Terre comme système complexe au-delà de la somme des parties” (Hamilton 2014), un “déplacement conceptuel” qu’évitent beaucoup d’écologistes aujourd’hui.
Pour les scientifiques qui ont annoncé l’arrivée de l’Anthropocène, la plus grande force qui l’a apporté n’est pas la Pensée, la Raison, la Conscience ou l’Esprit, ou quelque force qui monte au-dessus d’un collectif qui demande une lettre capitale ; à la place le coupable est l’humanité comprise comme homo faber, l’homme technologique de la civilisation occidentale moderne devenu une nouvelle force géologique par des moyens dont la puissance perturbe les grands cycles qui gouvernent la trajectoire de la planète. Cela ressemble superficiellement à la “nouvelle force tellurique” de Stoppani sauf que ce n’est pas tant avec la terre (tellurique) que les êtres humains sont intervenus de manière si décisive qu’avec l’atmosphère et les océans (géosphères fluides inséparables) en tant que compartiments du cycle global du carbone et du système climatique.
Si, pour Teilhard, la noosphère représente la puissance de la conscience de la totalité de l’humanité qui s’élève au-dessus et se purifie de ses attaches terrestres, l'Anthropocène dans l’approche des scientifiques du Système Terre – pour qui l’explosion de la population humaine (avec son métabolisme industriel) est devenue une force d’accélération de la nature – a ramené la conscience sur Terre. La condition pour la possibilité de la noosphère, une histoire humaine libérée de l’histoire naturelle de la Terre, a été effacée, parce que, comme Chakrabarty (2011) nous l’a dit, les deux histoires ont maintenant convergé, nous donnant une sorte de Terre hybride, de nature infiltrée de volonté humaine, que cette volonté ait été exercée de manière responsable ou irresponsable.
Remerciements
La première ébauche de cet article a été revisée et améliorée grâce aux utiles commentaires et critiques de trois réviseurs. Nous exprimons aussi notre gratitude aux autres critiques, spécialement à celles de Christophe Bonneuil et Jan Zalasiewicz. J. Grinevald est personnellement très reconnaissant au travail et aux vives discussions de l’Anthropocène Working Group (AWG) présidé par Jan Zalasiewicz, et dont il est l’un des membres. Cela va sans dire, l’AWG n’a rien à voir avec le présent article, initié par C. Hamilton. Toutes les expressions d’une opinion (ou d’erreurs de fait) contenus dans cet essai sont de la seule responsabilité des auteurs.
Notes
(1) Une traduction anglaise complète de Biosfera [La Biosphère] de Vernadsky (l’édition originale a été publiée en 1926) a finalement été publiée au début 1998. Elle était cite par Crutzen et Stoermer (2000) et Crutzen (2002).
(2) Les pages en italien sur “l’éra antropozoica” sont à présent traduites en anglais par Valéria Federichi, et sont disponibles en ligne.
(3) Renevier (1873) et Stoppani (1873) furent tous les deux actifs dans le 2e Congrès Géologique International de 1881 à Bologne, en Italie, où la nomenclature stratigraphique fut discutée pour la première fois au niveau comparatif international (Freymond, 2012). La terminologie de l’Holocène (terme introduit dans les années 1860 par Paul Gervais), pour l’époque moderne post-Pléistocène fut adoptee par le Congrès Géologique International de Berlin en 1885.
(4) Voir https://scripps.ucsd.edu/programs/keelingcurve/2013/04/03/the-history-of-the-keeling-curve/.
(5) Malheureusement, la nouvelle science de la Biosphère considérée comme un tout (plus tard appelée écologie globale) de Vernadsky resta des lustres ignore ou mal comprise, en partie censure ou inedited (voir la préface par Lynn Margulis et des collègues dans Vernadsky, 1998). Les livres français de Vernadsky, La Géochimie (1924) et La Biosphère (1929) furent épuisés après la Deuxième Guerre mondiale. Son livre original en russe intitulé Biosfera, publié à Leningrad en 1926, juste après son plus long séjour en France (1922-1925), ne fut publié intégralement en anglais qu’en 1998 (Grinevald, 1998).
(6) Les deux livres de Le Roy furent mis à l’Index Librorum Prohibitorum de l’Eglise catholique en 1931.
(7) Rappelée plus tard et par Teilhard (1956) et par Vernadsky (1945).
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