Comment sortir de l'urbanisme fossile, qui, à grand renfort d'énergie pétrolière, est à l'origine du phénomène désormais universel de l'étalement urbain ? L'ASPO a tracé les pistes de l'autonomie énergétique, dont un Land en Autriche est pionnier : le Vorarlberg.
A l'occasion de sa dixième conférence, l'ASPO (Association pour l'étude du pic pétrolier et gazier), réunie à Vienne jusqu'au 1er juin, a tracé les pistes de l'après-pétrole. Le professeur de technologie à l'Université d'Innsbruck, Wolfgang Streicher, y a présenté un scénario d'autarcie énergétique pour l'Autriche d'ici à 2050, destiné au ministère de l'environnement autrichien. D'étymologie grecque, le mot autarcie signifie la capacité pour un système ou une communauté de se sustenter par soi-même, en utilisant des ressources produites d'origine locale. Un système autarcique peut être un foyer, une commune, une région ou un pays qui n'utilisent que des biens et services produits par eux-mêmes, sans recourir à des importations.
En matière d'énergie, les secteurs concernés par l'autarcie sont le bâtiment, l'industrie et la mobilité. Pour qu'ils ne soient alimentés qu'en sources d'énergies domestiques, deux conditions sont requises : une stricte limitation des besoins, et un système de stockage local et saisonnier d'énergie pour compenser l'intermittence des renouvelables et éviter les importations. Mais, pointe Wolfgang Streicher, la société est-elle prête à se passer de vacances aux Maldives, de vêtements fabriqués en Chine, de pommes produites en Espagne ? En matière d'alimentation, est-elle prête à manger moins de viande ? Et, du côté de l'habitat, les citoyens seront-ils disposés à jouer le jeu de la densification, alors que le logement individuel est primé par les ménages, malgré les inconvénients qu'il induit en terme de rallonge des temps de transport ? Tout le système est organisé de manière non autarcique.
Pourquoi envisager l'autarcie énergétique ? D'abord pour se mettre à l'abri de l'évolution de plus en plus erratique des prix du baril : outre sa volatilité, le prix du brut ne cesse d'augmenter et se maintient au-dessus de 100 dollars le baril depuis plus d'un an. Ensuite parce que c'est le charbon qui domine le mix énergétique fossile des pays de l'OCDE et de l'ex URSS, dans le ratio ressources-production. Enfin, la raison climatique : déstocker ce charbon ne serait pas sans conséquences sur le réchauffement, dont les effets, en Autriche, se manifestent par le spectaculaire retrait du glacier Pasterze.
Une modification cruciale du système énergétique
Premier élément de l'autarcie énergétique, la détermination d'un périmètre de consommation et de production, selon un ensemble de critères : des énergies locales, des échanges frontaliers possibles avec les pays riverains, un stockage saisonnier de l'électricité et des bio-carburants produits en Autriche, sous réserve du maintien constant des zones dédiées à la production agricole, le renoncement aux énergies fossiles et nucléaire. La cartographie des consommations actuelles, secteur par secteur, représentée par un diagramme de Sankey représentant les flux énergétiques, est également un pré-requis. L'évaluation des potentialités en ressources et en techniques de production d'énergies renouvelables en est une autre.
L'étude présentée par Wolfgang Streicher montre que l'autarcie énergétique, sur la base de 100% de renouvelables, est théoriquement possible en Autriche d'ici à 2050, à condition d'une « modification cruciale du système énergétique et de la forme des services énergétiques. La marge de manœuvre est relativement étroite, et le potentiel de renouvelables devra être presque entièrement exploité. Les conditions politiques de cette évolution doivent être mises en ouvre dès aujourd’hui ». Les consommations devront en tout état de cause être réduites de moitié. Dans le domaine de la mobilité, le basculement vers les transports en commun sera presque total, grâce à une redéfinition complète des infrastructures. Le transport individuel sera soit non motorisé (vélo), soit à base de « e-véhicules » ultra légers consommant 12 kilowattheures pour 100 km. L'espace de l'habitat sera densifié, le logement individuel sera en raréfaction au profit d'immeubles offrant des prestations comparables à celles de maisons individuelles grâce à une conception personnalisée des appartements. Les énergies de l'habitat combineront la géothermie, le solaire thermique et photovoltaïque, l'hydroélectricité et l'éolien, tandis que les habitats anciens auront tous été réhabilités selon de normes thermiques exigeantes. Dans l'industrie, les besoins de chaleur pourront être fournis par le méthane et les biocarburants, mais l'ensemble des consommations du secteur devra avoir décru de 35%.
L'exemple du Vorarlberg
Dans un essai très documenté, la journaliste et architecte Dominique Gauzin-Müller décrit un petit Land autrichien, le Vorarlberg, comme un territoire emblématique en raison de sa position géographique enclavée par des barrières naturelles (le lac de Constance à l’ouest et le massif alpin autrichien à l’est) et des frontières politiques : l’Allemagne au nord, la Suisse et le Liechtenstein au sud-ouest. En juin 2011, 371 384 habitants se partageaient 2 600 kilomètres carrés, soit environ la moitié de la surface d’un département français moyen, comme le Lot. La densité de population y est la plus élevée d’Autriche après celle de Vienne. Environ trois quarts des habitants se concentrent dans la plaine du Rhin, qui ne représente que 17 % de la surface mais regroupe la majorité des activités économiques et de grands axes routiers et ferroviaires internationaux. Le reste est couvert de montagnes (jusqu’à 3 312 mètres d’altitude) et plutôt orienté vers l’élevage, l’exploitation forestière et le tourisme.
En matière d'autonomie énergétique, le Voralberg est sans doute la région la plus avancée d’Europe. « Son objectif phare est d’ailleurs d’atteindre en 2050 l’autonomie énergétique (électricité, chauffage, carburants) à partir de ressources renouvelables locales. Cette indépendance commence par la réduction des besoins grâce à la sobriété, qui est liée aux comportements, et à l’efficacité, qui touche les installations. Campagnes d’information et missions de conseil auprès des particuliers, des entreprises et des collectivités incitent aux économies d’énergie. Les communes donnent l’exemple en construisant de nouveaux bâtiments très performants et en améliorant l’efficacité énergétique des équipements existants », écrit Dominique Gauzin-Müller dans un nouvel ouvrage à paraître[1].
Côté énergies renouvelables, la situation géographique et climatique du Vorarlberg n’est pas favorable à l’éolien, mais toutes les autres sources sont exploitées, en particulier la biomasse (le Land est très boisé), le solaire, la géothermie et l’hydraulique, qui couvre 97 % des besoins en électricité, dont 10 % environ grâce à de petites centrales, qui rendent certaines communes de montagne presque autonomes. Une trentaine de microturbines sont implantées sur le réseau d’eau potable. Le Land compte aussi une centaine de centrales de chauffage au bois avec réseau de chaleur, soit quasiment une pour chacune de ses quatre-vingt-seize communes. Certaines ont été initiées par des collectivités locales, d’autres par des institutions sociales et religieuses, des coopératives d’agriculteurs ou des particuliers.
[1] La Maison individuelle. Vers des paysages soutenables ?, ouvrage dirigé par Yann Nussaume, Aliki-Myrto Perysinaki et Johanna Sery, Editions de La Villette, juillet 2012.