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Sauvons les terres fertiles : Appel pour le classement des sols de Gonesse et Saclay au patrimoine mondial de l'UNESCO  

22 septembre 2022

"Des personnalités du monde de la recherche et de la culture lancent un appel au gouvernement pour le classement des terres du Triangle de Gonesse et du Plateau de Saclay au patrimoine mondial de l’UNESCO. Menacées par la construction imminente de deux lignes de métro du Grand Paris Express, ces terres constituent selon ses signataires un bien commun d’une valeur universelle, appelé à jouer un rôle vital dans la résilience de la métropole parisienne face aux chocs climatiques.

L’été 2022 marque un tournant. Des pics de température à 45 degrés, une sécheresse sans précédent, des incendies et tempêtes qui ravagent des régions entières : par leur brutalité, ces derniers mois ont impressionné y compris ceux qui ne se sentaient pas encore concernés par les effets du dérèglement climatique.

Mais l’effroi qui nous saisit désormais tient moins à la sévérité de ces événements qu’à la certitude de devoir les affronter chaque année, avec une intensité redoublée.

La sagesse voudrait que toutes les politiques publiques se décident à l’aune de cette nouvelle réalité. Chaque choix en matière d’aménagement du territoire, de transport, d’approvisionnement en énergie et en nourriture, devrait compter avec l’épuisement des écosystèmes. Depuis plusieurs années, l’ensemble de la communauté scientifique clame l’absolue nécessité de préserver les sols autour des villes : toute nouvelle artificialisation accroît la menace sur notre avenir.

Aussi, nous, signataires de ce texte, demandons solennellement au gouvernement français de prendre les mesures qui s’imposent pour sauver les terres de Gonesse et de Saclay. Nous lançons un appel pour que ces écosystèmes, dont le rôle est vital pour notre survie, soient classés au patrimoine mondial de l’humanité.

Les terres de la plaine de France et du plateau de Saclay figurent parmi les plus fertiles au monde. Leurs rendements élevés – plus de 100 quintaux de maïs et de blé tendre à l’hectare aujourd’hui – expliquent en grande partie le développement démographique, économique et culturel de Paris et de sa région depuis le Moyen-Âge. Cultivés depuis des millénaires, ces sols, d’une valeur géologique et hydrologique exceptionnelles, sont le résultat d’une accumulation de loess datant de la dernière ère glaciaire, qui remonte à 100 000 ans. Ils sont constitués de limons éoliens profonds, d’une épaisseur de trois à quatre mètres à Saclay, et jusqu’à six mètres sur le Triangle de Gonesse. S’ajoute à cela une couche d’argile qui assure un stockage de l’eau en profondeur : cette réserve hydrique permet une forte productivité des cultures, sans irrigation, même par les étés les plus chauds.

Outre leur rôle nourricier, les espaces agricoles absorbent les eaux de pluie et réduisent le ruissellement et les risques d’inondation. Ils rafraîchissent l’air, de plus en plus étouffant, de nos villes. Pendant les épisodes de grande chaleur, les terres jouent un rôle important dans la régulation du micro-climat de la région parisienne, touchée de plus en plus fréquemment par le phénomène des îlots de chaleur urbain en raison de la très forte artificialisation de ses sols.

Sur des milliers d’hectares, ces terres sont des réservoirs de biodiversité : elles abritent une vie complexe, le plus souvent invisible, permettant la symbiose entre animaux, végétaux, bactéries et champignons.

Les terres agricoles offrent aussi un immense potentiel de stockage de carbone. N’est-ce pas la France qui, lors de la COP 21, a incité les pays du monde à s’engager dans la transition vers une agriculture régénératrice ? Les champs de Gonesse et de Saclay, dernières terres aux portes de Paris, seraient un terrain d’expérimentation idéal.

N’oublions pas la valeur patrimoniale exceptionnelle de ces territoires, dont l’histoire remonte au Néolithique. Sur le Triangle de Gonesse, des fouilles archéologiques ont révélé la présence de silos à grains enterrés remontant à 2500 ans. A Saclay, les vestiges de plusieurs domaines datant de l’âge du fer attestent de la continuité de l’activité humaine sur le plateau. Encore aujourd’hui, les paysages et le patrimoine bâti – les corps de fermes, églises, moulins, pigeonniers, lavoirs et aqueducs – constituent un témoignage remarquable du mode de vie agricole autour de Paris, dont l’approvisionnement alimentaire, contrairement à Londres, dépendait presque exclusivement des terres situées à proximité des zones habitées.

Or le destin promis à ces territoires par les aménageurs consiste à défendre encore et toujours une « croissance » aussi hypothétique que ravageuse. Sur le plateau de Saclay, la Société du Grand Paris persiste à vouloir construire la ligne 18 Ouest du Grand Paris Express, qui détruirait des milliers d’hectares de terres arables dans une zone actuellement sans habitant, et alors que d’autres solutions de transport publics moins destructeurs et adaptés aux besoins des habitants et travailleurs du plateau sont possibles.

Au nord de Paris, où l’on croyait les champs de Gonesse sauvés de la destruction depuis l’abandon du méga-centre commercial EuropaCity et de sa piste de ski artificielle, le gouvernement a annoncé la reprise des travaux de la ligne 17 Nord, en direction du village du Mesnil-Amelot, peuplé seulement de 1 100 habitants, en passant par l’aéroport Roissy-Charles-De-Gaulle. Dans cette zone où l’habitat est interdit en raison du bruit des avions, le gouvernement veut construire une cité scolaire avec internat… Enfin, la ligne 17 Nord aboutirait à la création d’une troisième offre de transport entre Paris et l’aéroport. Un choix particulièrement absurde alors que l’argent public manque cruellement pour répondre à de véritables besoins, comme la rénovation des transports existants, l’éducation et la santé.

Il est encore possible d’éviter ce gâchis. En soutenant le classement des terres de Gonesse et de Saclay sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, le gouvernement mettrait enfin en lumière la fertilité exceptionnelle de sols qui ont permis à nos lointains ancêtres de s’installer sur ce territoire. Un tel classement permettrait aussi aux collectivités d’Île-de-France de s’engager enfin dans la constitution d’une Ceinture Verte alimentaire autour de Paris, ce qui renforcerait son autonomie, à l’heure où le prix des matières premières, notamment agricoles, explose.

Les pouvoirs publics démontreraient ainsi que la véritable innovation au XXIè siècle ne consiste plus à urbaniser sans fin les territoires péri-urbains, mais à les cultiver pour et avec leurs habitants.

Nos sols nourriciers sont en danger. Nous, citoyennes et citoyens du XXIème siècle, devons être les gérants de ce trésor, qui nous a été transmis au fil des millénaires. Notre devoir est de protéger ce patrimoine et de le faire fructifier afin de le transmettre, à notre tour, aux générations suivantes."


Voir le manifeste ici.
Pour signer l'appel, envoyez un courriel à : contact@sauvonslesterresfertiles.org