Comment tirer son épingle du jeu dans la catastrophe écologique généralisée ? Quels outils permettront de survivre au désastre partout annoncé ? Pour Matthew Stein, auteur de When Technology Fails [Quand la technologie défaille], la survie est avant tout affaire d’anticipation, d’ingéniosité individuelle et de solidarité collective à l’échelle locale. En l’absence d’une action globale des gouvernants, ce véritable manuel dessine un projet d’autonomie radicale. Plus modestement, dans une perspective historienne, Jean-Baptiste Fressoz soutient dans L’Apocalypse joyeuse que, pour nous rendre maîtres de notre avenir technique, il faut d’abord nous défaire du mythe d’un progrès linéaire pour faire apparaître les résistances et les coups de force dont l’histoire de l’innovation a été le théâtre.
La perspective de l’effondrement de la civilisation industrielle n’est pas nouvelle : les livres récents sur la résilience renouent avec un genre qui avait commencé à prospérer dès les années 1950, quand l’équilibre de la terreur avait fait émerger la peur, inédite, de la destruction de la Terre par le feu nucléaire. Elle fut à l’origine de nombreux manuels et films de propagande détaillant les conditions de la survie après une attaque venue de l’autre côté du rideau de fer, comme Duck and Cover, film de 9 minutes produit par la défense civile américaine, qui explique aux enfants comment se protéger d’une bombe atomique. Mais aujourd’hui il n’est plus seulement question de se construire un abri et d’y stocker des vivres (bien que cela reste une obligation en Suisse, où la loi fédérale exige que chaque habitant dispose d'une place protégée dans un abri situé à proximité de son lieu d'habitation). La menace d’anéantissement total de la Guerre froide s’est muée en un danger diffus, omniprésent, et sans ennemi identifié.
Une menace protéiforme et omniprésente
Les premiers signes du réchauffement climatique et de l’effondrement de la biodiversité, la prolifération des pollutions et des maladies environnementales, l’épuisement du pétrole et la menace d’accident nucléaire – menace redevenue tangible 25 ans après Tchernobyl avec la catastrophe de Fukushima le 11 mars 2011 – dessinent une trajectoire de destructions qui ne semble pas pouvoir être interrompue. Le désarroi contemporain vient de ce constat désormais partagé : les activités humaines sont à l’origine d’un empoisonnement sans précédent des sols, de l’eau et de l’air, mais nulle part n’existe la volonté collective d’y remédier. Depuis quarante ans, depuis la première conférence mondiale sur l’environnement à Stockholm, il est sans cesse question d’une hypothétique « prise de conscience » par les États industrialisés de leur responsabilité historique dans la crise écologique. Mais alors qu’en 1992 la première conférence de Rio devait inaugurer un système de gouvernance mondiale inédit, notamment pour stabiliser puis réduire les émissions de gaz à effet de serre, on assiste à un concert de déplorations sur l’échec répété des sommets internationaux – ainsi qu’à l’augmentation continue de la quantité de CO2 dans l’atmosphère.
Hypocrisie de dirigeants prompts à saboter en sous-main des processus de coopération mondiale qui sapent leur pouvoir ? Impuissance d’élus n’ayant aucun mandat de leurs administrés pour prendre des mesures de rupture avec la société de croissance ? Figés de manière spectaculaire dans un dilemme d’action collective (« Je ne peux pas engager mon pays dans la voie de la sobriété alors que les autres États continuent d’exploiter les ressources et de nous distancer dans la compétition internationale »), les représentants des 191 pays réunis en juillet 2012 à l’occasion du sommet Rio+20 sont revenus avec l’habituelle déclaration a minima et une mine contrite de circonstance. Le limogeage en pleine conférence de la ministre française de l’Écologie Nicole Bricq, qui s’était contentée de demander un moratoire pour les forages pétroliers au large de la Guyane, illustre de manière spectaculaire le double langage de gouvernements qui se disent très préoccupés de l’avenir de la planète mais qui, devant le poids des groupes de pression industriels, sentent subitement leurs forces défaillir.
Confrontés à ce spectacle inquiétant, bombardés de publicités incitant à consommer toujours davantage, mais de plus en plus nombreux à être privés de la capacité d’acheter, les citoyens des pays industrialisés sont enfermés dans une situation d’injonction paradoxale : le mode de vie occidental et son extension à d’autres parties du monde menacent nos conditions d’existence ; pour autant, selon la phrase restée célèbre de George Bush senior, ce mode de vie n’est « pas négociable ». When Technology Fails, épais manuel pratique publié en 2001, puis réédité en 2008, est comme une tentative d’échapper au déni et à la paralysie que crée cette dissonance cognitive. (...)
Retrouvez la suite de cet article dans le n°7 de la Revue des Livres (RdL), qui publie dans le même numéro un entretien sur la permaculture et le réseau Terra Vitae avec Jérôme Dehondt.
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