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Voiture électrique : une fable du Père Noël qui ne fait que déplacer la pollution ailleurs

3 novembre 2017




Le sociologue Alain Gras, membre de l'Institut Momentum, explique, dans une tribune au « Monde », que nous faire avaler la fable que l’électricité est inoffensive écologiquement, c’est nous laisser croire au Père Noël. «Traverser Paris en silencieuse et saine voiture électrique purifiera l’air, mais cela ne supprimera pas une autre pollution, le terrifiant risque de l’atome des trois centrales proches de la capitale ». Avec la voiture électrique, un futur paradis urbain nous est annoncé par les médias, les constructeurs, et certains politiques, tandis que la Foire de Francfort en a fait la promotion, L’électricité, énergie ? Certainement pas, même secondaire comme il est prétendu.

Ce n’est qu’un vecteur : c’est-à-dire qu’elle transporte une puissance efficiente d’un point à l’autre, produite au point de départ et transformée en un flux de particules. La pollution engendrée par le mode de production n’en est évidemment aucunement annulée, tandis qu’au point d’arrivée le consommateur dispose d’un moyen d’action propre, simple et efficace.Traverser Paris en silencieuse et saine voiture électrique purifiera l’air, mais cela ne supprimera pas une autre pollution, le terrifiant risque de l’atome des trois centrales proches de la capitale. Dans tous les pays qui choisiront le fossile plutôt que la solution nucléaire, leurs villes seront, peut-être, plus salubres mais dans leur environnement plus ou moins éloigné. Ce sera bien pire, car les vents se moquent des distances.

Fantasme


Il en a été ainsi dès le début. L’inventeur Thomas A. Edison (1847-1931) parvint, en 1882, à convaincre les riches bourgeois de Pearl Street, à Manhattan (Etats-Unis), de la salubrité de l’ampoule à incandescence face aux salissants becs de gaz de leurs salons. Pourtant, à quelques kilomètres, l’usine brûlait cinq tonnes de coke chaque jour et jetait ses déchets dans l’Hudson River. Ce fut le début de la merveilleuse, et trompeuse, aventure de la gentille « reine du porte-à-porte ». La e-voiture marque peut-être un nouveau stade de l’aventure : en pleine mise en application de l’accord de la COP21 (Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques), on nous assure un avenir électrique fondé sur le fantasme des énergies renouvelables. Or, leur part relative augmente très lentement dans le panier mondial électrique et atteint à peine 21 % (dont seulement 3 % éolien/solaire).

La Chine se taille un costume vert en développant le photovoltaïque ou en achetant le grand constructeur suédois qui devient e-Volvo, mais elle construit deux usines thermiques par semaine et augmente sans cesse sa production de charbon en Mongolie Intérieure et Xinjiang, aussi bien que ses importations d’Australie.

Le problème des batteries


Revenons à la voiture électrique : la réponse classique consiste à mettre en avant l’efficacité de ce e-moteur. La transmission électrique est, en effet, bien plus avantageuse que celle thermique : en théorie 85 % à 90 % de l’énergie est récupérée, après les pertes un peu moins (65 % à 70 %).

Dans le thermique on se contente de 25 % à 35 %. Pourtant seule une solide foi dans le progrès technique nous permet de croire que demain seront résolus de très vieux problèmes, notamment : le poids de la batterie (250 kg pour 100 km), la lenteur de la charge (dix heures en moyenne), le fait que le véhicule électrique ne se révèle supérieur au thermique sur le plan de l’émission de CO2 qu’après 100 000 km. En outre, les batteries, considérées comme recyclables, ne le sont que pour un tiers d’entre elles. Le lithium composant principal et métal alcalin apparemment inoffensif, obtenu par évaporation de l’eau dans une solution chimique, induit d’énormes quantités d’eau perdues. Très acides, celles-ci ne repartent pas dans la nappe phréatique, polluent les sols et provoquent une pénurie d’eau propre, vitale pour les communautés ancestrales concernées.


Sobriété et décroissance de la consommation


Autre composant : le cobalt, extrait dans des conditions épouvantables, principalement au Congo-Katanga. Des composants métalliques conventionnels, tels zinc, aluminium, cuivre, sont présents, mais aussi des métaux et terres rares, dont l’extraction participe à la destruction de notre planète.

Je reviens donc à l’essentiel : le vecteur énergétique. Comment alimenter avec des énergies non polluantes un marché qui serait en 2030 dominé dans l’ordre, par la Chine, l’Inde et les Etats-Unis ? D’ici là, plus d’un milliard de véhicules auront été produits. Comment faire face à l’arrivée massive d’un nouveau mode de consommation électrique sinon par la centrale thermique, ou nucléaire ? Le charbon, avec la politique de Trump et les besoins électriques des pays émergents va ainsi redevenir la première source fossile, au-delà des 31 % actuels du pétrole. Les citadins gagneront peut-être un air pur mais la planète perdra à coup sûr.
Nous faire avaler la fable que l’électricité est inoffensive écologiquement c’est nous laisser croire au Père Noël. L’image de la voiture propre alimente efficacement les fantasmes du développement écolo-croissant-compatible que l’on nomme par un oxymore, développement durable. Elle nous rend aveugle à d’autres voies vers la sobriété et une décroissance relative de la consommation.

En savoir plus sur le site du Monde.

Article paru dans  LE MONDE | 19.10.2017 à 19h39 • Mis à jour le 20.10.2017 à 08h52 |