Alors que le rassemblement national remporte les élections européennes avec une avance écrasante, le Président de la République, Emmanuel Macron, dissout l’Assemblée nationale. Cette décision marque l’entrée dans un temps d’incertitude politique radicale où le fascisme contemporain risque de prendre le pouvoir dans quelques jours. A l’Institut Momentum, nous considérons qu’il est de notre responsabilité d’intervenir publiquement pour contribuer à la résistance antifasciste depuis l’écologie politique.
Frustration
La frustration est un affect caractéristique de notre époque pathologique. Entre la production de besoins démesurés et l’impossibilité matérielle et symbolique d’y répondre, il reste la frustration. Depuis sept ans, Emmanuel Macron se targue de gérer la France comme une grande entreprise. La collectivité est administrée comme objet de management rationnel et disciplinaire, dont l’historien Johann Chapoutot a retracé les origines nazies. Au nom d’un avenir radieux par le retour de la sainte croissance, les services publics sont progressivement démantelés par une violente politique d’austérité et sous la surveillance d’obscures et impitoyables agences de notation. La tentative de taxe carbone ou la réforme des retraites sont perçues comme une maltraitance d’autant plus injuste qu’elles s’accompagnent d’une hausse des inégalités et de la pauvreté. Galvanisée par les diktats de la croissance et du consumérisme, l’expérience du déclassement est une honte infinie. Ces processus forment une injonction paradoxale insupportable : d’un côté l’austérité imposée, de l’autre la surabondance exhibée.
Servitude
L’organisation économique et ses justifications idéologiques imprègnent nos existences. Elles s’impriment sur nos corps et nos esprits en favorisant un certain type de rapport au monde. Individualiste, centré sur des revendications privées et des désirs de luxe matériel, cet être-au-monde est le produit de la société de croissance et ses promesses impossibles. Le sentiment de dépossession est d’autant plus fort que la capacité à symboliser, à se représenter le monde, à se mobiliser pour des valeurs non marchandes s’étrique dans la société de marché mondialisée, sur fond de contraction des ressources et de nouveau régime climatique. Pour reprendre les termes de Georges Bataille, seule la dépense servile est valorisée alors que la dépense souveraine n’a aucune place. Du commun ne reste plus que l’ordre entretenu par un État policier prompt à défendre des lobbies agro-industriels plutôt que l’intérêt général. La demande d’ordre est alors le symétrique de l’humiliation infligée par cette société de croissance, qui enjoint ses membres à la soumission, à la discipline productive et consumériste. Cette servitude a pour revers l’affect du ressentiment que n’ont fait qu’amplifier les méthodes de gouvernement d’Emmanuel Macron et qu’il s’agit de combattre sur le terrain.
Fascisation
La vague brune de ressentiment qui a coloré l’Hexagone le 9 juin est le revers d’un immense sentiment d’impuissance entretenu par la machine industrielle et économique qui tient lieu de société depuis l’entrée en Anthropocène. Elle n’a rien d’une vague émancipatrice, c’est un mouvement chargé de destructivité qui puise dans une honte innommable, cette honte prométhéenne de l’humain obsolète dont parle le philosophe Günther Anders, cet individu perdu dans les marchandises et ses images, humilié par les machines et les biens qu’il hait et révère à la fois.
Le paradoxe du néofascisme aujourd’hui est de combiner un électorat en voie de prolétarisation – c’est-à-dire en perte de ses capacités d’action, de son agentivité, de son pouvoir de vivre - et une politique d’aggravation des dynamiques néolibérales qui en sont à l’origine. Le rassemblement national n’a rien de social, alors comment comprendre sa popularité ? Il propose de sublimer diaboliquement la frustration légitime issue du capitalisme dans sa forme néolibérale par sa transformation en ressentiment contre des boucs émissaires identitaires. Les corps à abattre sont ceux des étrangers, des féministes, des gauchistes, des écologistes ou des musulmanes. La compensation de la frustration repose alors sur la restauration de la dignité par l’épreuve de domination sur l’autre devenu ennemi. Ce ne sera pas la première fois que le capitalisme fait alliance avec le fascisme.
Productivisme
Cette frustration signale le décalage croissant entre ce que nous estimons comme notre dû et ce qui nous revient en réalité. Œuvrer pour la justice dans le monde nécessite qu’il reste un monde à l’œuvre pour la justice. Or ce monde est au bord de l’effondrement en raison du dépassement des limites planétaires déclenché par l’ogre productiviste. Si la gauche ne se soucie que d’accroître le pouvoir d’achat en général, elle échouera toujours. Elle ne formera qu’un maillon supplémentaire dans la chaîne de production de l’apocalypse. A jouer le jeu du capitalisme dans un monde fini et déstabilisé sur le plan des ressources, du climat et des systèmes écologiques, la gauche restera la plus décevante faute de se donner les moyens de ses promesses. Il est encore temps de refuser ce jeu de l’apocalypse. Il est toujours temps. L’Institut Momentum soutient l’Appel des Soulèvements de la Terre pour une mobilisation antifasciste en particulier dans le monde rural, pour construire un réseau de résistance, tisser un maillage de contre-pouvoirs populaires.
Habitabilité
Prendre au sérieux les conditions d’habitabilité de la Terre nous oblige à remettre en cause la nature de ce que nous tenons comme dû, de nos besoins, de nos aspirations à l’aune de ce qui est compatible avec le reste du monde, ou encore avec le fait qu’il nous reste un monde. Il est important d’affirmer que la gauche se fourvoierait à ne s’attaquer qu’à la répartition des « richesses » alors que ces mêmes richesses sont simultanément en train de nous tuer. Il nous reste encore d’autres possibles que la mort comme égaux pollués, irradiées, sinistrés, balayées, submergés et incendiées. Pouvoir habiter dignement un territoire, avoir accès à des services publics correctement gérés, pouvoir mettre des aliments sains sur sa table, pouvoir se projeter dans un métier qui a un sens, pouvoir proposer une éducation de qualité à ses enfants forment aussi nos désirs. Nous aspirons à vivre dans des territoires solidaires, préparés aux turbulences à venir. Faire société dans un monde en contraction, c’est proposer un refuge habitable en situation d’accélération de la dégradation de la Terre. Il s’agit donc de conjuguer la notion de refuge et la perspective de l’ouvert cosmopolitique hors d’un protectionnisme survivaliste. Une société écologique est une société démocratique, à technologie douce, décentralisée, au sein de quartiers et de biorégions solidaires. Il s’agit de repenser les structures sociales pour qu'elles cessent de détruire notre terre et nous avec tout en déminant le fantasme collectif du repli identitaire et de la "violence purificatrice " qui est celui des néo-fascismes européens. C’est tout le travail de l’Institut Momentum.
Ecologie émancipatrice
L’écologie politique émerge du combat contre le productivisme délétère de la gauche et de la droite. Néanmoins, elle reprend à la gauche l’impératif de justice, d’égalité et de liberté. Elle s’approprie la solidarité comme manière de vivre, loin des artefacts technologiques de l’individualisme. Comme la gauche, son rapport à l’État est ambivalent. Tantôt elle défend l’État social et émancipateur garant de l’égalité pour l’accès aux droits fondamentaux depuis de la tradition socialiste. Tantôt elle se fait la critique acerbe de l’État, substantiellement autoritaire, producteur d’inégalités et de répression, qu’elle inscrit dans un héritage anarchiste. Cependant l’écologie politique tient sa ligne de crète en refusant le productivisme, c’est-à-dire la production pour elle-même au prix de la destruction de la vie terrestre - dont l’humaine. Ainsi, l’augmentation du pouvoir d’achat et du niveau de vie ne l’intéresse que dans la mesure où elle permet de réduire la misère et la pauvreté, en termes de décence commune. Par ailleurs, seule l’écologie politique se soucie d’une relation soutenable, juste et réciproque avec les autres êtres qui partagent le monde. L’écologie politique prend soin d’un avenir possible sans nécessairement renoncer au présent sous le mode du sacrifice. Attachée à un projet d’émancipation par l’autonomie, la responsabilité et la solidarité, l’écologie politique n’est pas un renoncement à vivre librement, c’est une invitation à redécouvrir ce qu’est la liberté en pratique. Le penseur écologiste André Gorz a fait l’éloge du suffisant comme principe directeur des sociétés écologistes. Il ne tient qu’à nous de défendre politiquement la nécessité et l’opportunité de transformer nos sociétés à l’aune de ce principe pour répondre aux besoins essentiels de la vie humaine digne tout en mettant au coeur de la vie en commun les joies souveraines de la vie artistique, culturelle, sociale et politique. C’est une autre manière de parler de la décroissance.
Nouveau Front populaire
Après-demain, nous avons la possibilité de repousser un peu plus loin le fascisme avec la mise en œuvre du programme du nouveau Front populaire. Nous le soutenons donc sans détour. Fait devenu rare en ces temps obscurs, il tente de surcroît de s’atteler à éviter la destruction du vivant. Nous affirmons que le programme du nouveau Front populaire permettra de réduire les inégalités et la pauvreté. Cependant, il ne rompt pas avec la croissance économique, le productivisme industriel et le niveau de vie comme étalon de l’épanouissement. Nous en avons pourtant montré la nécessité. En dépit de désaccords sur ce point, nous rejoignons résolument les principes d’égalité et de justice sociale qui le fondent, sans lesquels l’écologie politique manque à sa tâche, et se manquerait elle-même.
Le vote
Il est clair que le vote dans la Vème République est à la fois l’acte politique institutionnel le plus important et le plus insignifiant. Nous défendons une vision radicale de la démocratie, comme principe, dans lequel le vote ne serait qu’un de ces processus parmi d’autres. En attendant, il nous est possible de voter pour un contrat de législature issu d’une alliance en capacité de remporter les élections. Il nous semble qu’aucune autre action que le vote ne nous éloignera davantage du fascisme et nous rapprochera davantage de l’écologie politique lors des dix minutes dédiées à voter les dimanches 30 juin et 7 juillet.