Par Didier Chaudet et Benoît Pelopidas
Demain, les citoyens américains vont élire leur président. Il est difficile de prévoir les résultats de l’élection, sauf celui-là : les orientations diplomatique, nucléaire et climatique du pays, quel que soit le vainqueur, sont susceptibles d’avoir un impact négatif sur l’Europe.
D’abord, ce qu’on peut deviner de la diplomatie du prochain président devrait être une source d’inquiétude. L’intérêt des Européens est dans l’apaisement des relations internationales, notamment aux marges du continent (Europe de l’Est, Moyen-Orient). Or ni Donald Trump, ni Kamala Harris, n’ont tenu un discours allant dans ce sens. Et cela alors que les électeurs indépendants, ceux qui vont choisir le prochain président, la souhaitent : ils se rapprochent des Républicains sur le dossier ukrainien (soutien à une paix de compromis, un point de vue partagé par deux tiers d’Américains) et de la gauche du parti démocrate dans la critique d’un soutien inconditionnel à Israël.
Les pro-Trump ont présenté leur candidat comme « anti-guerre » : une absurdité, quand on prend en compte son bilan : il a soutenu la guerre au Yémen ; il a mené une politique très hostile vis-à-vis de l’Iran, détruisant toute possibilité de détente avec ce pays. Et il ment quand il affirme qu’il s’est opposé à la guerre en Irak. Quant à K. Harris, on sait qu’elle héritera d’une vision militariste des relations internationales si elle est élue : le budget militaire américain reste le plus important au monde (916 milliards de dollars en 2024, trois fois plus que la Chine, davantage que la somme des 9 budgets militaires les plus importants après le leur). Et si on en croit leurs discours, les deux candidats ont les mêmes ennemis principaux : l'Iran (K. Harris est allée jusqu’à présenter Téhéran comme « le plus grand ennemi des États-Unis »), ce qui signifie un risque de conflit régional au Moyen-Orient ; et la Chine, dont il s’agit de contrer la montée en puissance pour préserver la prédominance américaine. Ces deux priorités font craindre, pour l’Ukraine, un scénario à l’afghane : un désengagement au nom des intérêts nationaux américains, qu’il soit immédiat (option Trump) ou un peu plus éloigné dans le temps (option Harris).
Ensuite, Washington a entamé un programme de « modernisation » de la totalité de leur arsenal de plus de 3700 armes nucléaires, au prix, en constante augmentation, de 1,700 milliards de dollars sur 30 ans ; le Président peut seul décider d’utiliser le feu nucléaire et aucun des deux candidats n’a envisagé de remettre ces politiques en question. Le bilan des deux dernières administrations (Trump et Biden) est en effet comparable dans ce domaine, continuant une politique entamée sous la présidence Obama. Or, il est maintenant établi que des facteurs non réductibles au contrôle ont été nécessaires pour empêcher des explosions nucléaires non-désirées dans l’arsenal américain par le passé et que les dirigeants actuels renouvellent ce pari. A des professions de foi selon lesquelles un membre de la chaîne de commandement désobéirait en cas d’ordre fou du Président et seulement dans ce cas s’ajoute la proposition d’introduire des systèmes d’IA dans la chaîne de commandement et de contrôle des arsenaux nucléaires, soit une perte possible de contrôle au nom de la crédibilité par l’automatisation de la riposte. Alors que nous restons aveugles aux effets du changement climatique sur les arsenaux nucléaires et que la politique actuelle continue de parier sur la chance, les quatre années qui viennent peuvent se révéler décisives pour l’Europe.
Enfin, aucun des candidats ne propose une politique compatible avec la limitation à 1,5°C du réchauffement global qui demeure un objectif pour l’Europe. En dépit de promesses de protéger l’environnement, Joe Biden a donné le feu vert à un projet d’extraction pétrolière de grande ampleur en Alaska en 2023 dont le champ d’application a ensuite été réduit et la candidate démocrate a changé d’avis sur le gaz de schiste et a affirmé qu’elle ne l’interdira pas. Même en l’absence de changements en la matière, il existe aujourd’hui aux États-Unis 28 projets dont l’accomplissement aboutirait à relâcher dans l’atmosphère un total de plus de 150Gt, sachant que le budget carbone estimé par le GIEC pour ne pas dépasser 1,5°C de réchauffement global est de 420Gt à compter de 2017 pour la totalité de la planète. L’institut Carbon Brief a établi que le programme de Donald Trump aboutirait à l’émission de 4Gt supplémentaires. Sachant que les points de bascule du dérèglement climatique global ne seront connus qu’a posteriori et que tous ses effets sur les autres infrastructures critiques sont mal ou pas connus, lesdits points de bascule peuvent être franchis pendant le mandat du prochain chef de l’État américain.
À défaut de parler d’une seule voix sur les questions diplomatique ou nucléaire, il est concevable que les Européens le fassent au moins sur l’urgence climatique. D’autant plus que sur ce sujet, si l’Europe parle d’une seule voix, elle pourra également s’exprimer au nom de la jeunesse des États-Unis : 46% des Américains de 18 à 29 ans font du changement climatique l’une de leurs principales priorités sécuritaires. On ne peut donc qu’appeler les capitales européennes à se coordonner au moins sur ce sujet.
Tribune parue dans La Croix le 4 novembre 2024
Benoît Pelopidas est associate professor à Sciences Po (CERI), chercheur associé au CISAC à l’Université Stanford et auteur de Repenser les choix nucléaires (Presses de Sciences Po, 2022)
Didier Chaudet est géopolitologue, membre du comité de rédaction de la Revue Défense nationale, spécialiste des régions persanophone et sud-asiatique. Il vit actuellement en Chine.