Article

Produire l'effondrement : les armes nucléaires comme préparation à la fin de la civilisation

12 mai 2025

Zia Mian

Programme sur la science et la sécurité mondiale, Université de Princeton

Benoît Pelopidas

Professeur des Universités et fondateur du programme d’étude des savoirs nucléaires, CERI, Sciences Po

Paru dans Miguel Centeno, Peter W. Callahan, Paul Larcey et Thayer Patterson (eds.), How Worlds Collapse. What History, Systems, and Complexity Can Teach Us About Our Modern World and Fragile Future (Routledge, 2023), pp. 315-332.

Des fous gouvernent nos affaires au nom de l'ordre et de la sécurité. Les principaux fous se réclament des noms de général, amiral, sénateur, scientifique, secrétaire d'État, voire président. Le symptôme fatal de leur folie est le suivant : ils ont accompli une série d'actes qui conduiront finalement à la destruction de l'humanité, avec la conviction solennelle qu'ils sont des gens normaux et responsables, menant une vie saine et travaillant à des fins raisonnables -
Lewis Mumford.

Introduction : Vivre avec l'effondrement

La possibilité d'une fin de l'humanité a toujours existé, dans les faits et dans l'imagination[2]. Ce qui a changé au cours des soixante-quinze dernières [Note du traducteur, à partir de celle-ci NdT : au moment de la publication de la traduction ce serait 80] années avec l'arrivée des armes nucléaires et thermonucléaires, leurs structures de gouvernance, les politiques contentieuses qui les entourent et qui concernent l'avenir de l'humanité, en bref l'ère nucléaire, fera l'objet de ce chapitre. Le trait civilisationnel qui caractérise cette ère a été décrit par E. P. Thompson comme une structure exterministe englobant « le système d'armes [nucléaires] et l'ensemble du système de soutien économique, scientifique, politique et idéologique de ce système d'armes - le système social qui la recherche, la ‘choisit’, la produit, la dirige, la justifie et la maintient dans l’existence [3]». Cette structure s'articule autour de l'ambition de produire et de différer la fin soudaine et catastrophique de la civilisation - ce que Thompson appelle la « poussée de l'exterminisme ».

Dès le début, ceux qui ont engagé le monde sur la voie des armes nucléaires ont compris que cette voie menait à la catastrophe et pouvait y aboutir. Dans sa note du 25 avril 1945, le secrétaire américain à la guerre Henry Stimson expliquait au président Harry Truman que la bombe atomique presque achevée serait « l'arme la plus terrible jamais connue dans l'histoire de l'humanité [...] la civilisation moderne pourrait être complètement détruite[4]». Stimson partageait également son avis selon lequel cette arme technologique constituerait une structure politique et morale dominante au point de submerger la civilisation elle-même, observant que « le monde, dans son état actuel d'avancement moral par rapport à son développement technique, serait finalement à la merci d'une telle arme ». Pour sa part, Truman est parvenu à une compréhension différente. Il écrit dans son journal : « Nous avons découvert la bombe la plus terrible de l'histoire du monde. Il s'agit peut-être de la destruction par le feu prophétisée à l'époque de la vallée de l'Euphrate, après Noé et sa fabuleuse arche[5]». Quelques mois plus tard, une fois la bombe construite, testée au Nouveau-Mexique et utilisée pour détruire la ville japonaise d'Hiroshima, Truman écrit dans son journal que la bombe est “la plus grande chose de l’histoire[6]”.

La structure exterministe existe aujourd'hui dans neuf États qui, en 2020, détiendront ensemble environ 13 400 armes nucléaires [NdT, environ 12000 en 2025], les États-Unis et la Russie détenant un peu plus de 12 000 (90 %) de ces armes[7] [NdT, leur part demeure en 2025]. Une structure parallèle existe dans les États alliés des États-Unis qui comptent, pour leur défense, sur l'utilisation ou la menace d'utilisation de leurs armes nucléaires (la Belgique, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas et la Turquie ont des armes nucléaires américaines stationnées sur leur territoire, contrairement à d'autres alliés des États-Unis en Europe ou ailleurs qui sont couverts par les engagements d'utilisation d'armes nucléaires des États-Unis). La Corée du Nord possède un arsenal qui, selon les estimations actuelles, est le plus petit de tous les États dotés de l'arme nucléaire, mais ses quelques dizaines d'armes nucléaires suffisent à dévaster des nations. Dans tous ces Etats, l'existence d'une structure exterministe ne signifie pas qu'elle est soutenue par une majorité de la population. En fait, elle est largement invisible.

Dans ce chapitre, nous visons à décrire la production d'une capacité de destruction nucléaire à l'échelle planétaire au cours des soixante-quinze dernières années [Note du traducteur, à partir de celle-ci NdT : au moment de la publication de la traduction ce serait 80], ainsi que la production de son invisibilité. Notre objectif est de montrer comment et pourquoi les dangers inhérents à l'ère nucléaire et son éventuelle fin catastrophique n'ont pas été et ne sont toujours pas bien compris.

I / Planifier l'effondrement nucléaire à l'échelle planétaire

L'histoire de la planification et de la préparation d'une guerre nucléaire est l'histoire de l'effondrement et de la fin de la civilisation. Les premiers efforts scientifiques visant à comprendre la possibilité de fabriquer une arme nucléaire ont consisté à évaluer les conséquences possibles des effets d'une telle arme. Un exemple pionnier est la note technique secrète de Frisch-Peierls de 1940 « On the Construction of a “Super-bomb” based on a Nuclear Chain Reaction in Uranium » (Sur la construction d'une « super-bombe » basée sur une réaction en chaîne nucléaire dans l'uranium) adressée au gouvernement britannique. Ce document déduit des principes physiques de base ce qui serait techniquement nécessaire pour construire une simple bombe atomique et ses effets : la destruction d'une ville par l'explosion et la mort d'un grand nombre de civils, même à des kilomètres de l'explosion, en raison des retombées radioactives.[8]

En 1942, dans le cadre du projet secret américain « Manhattan » visant à fabriquer la bombe atomique, qui s'inspirait en partie des travaux britanniques antérieurs dans ce sens, Edward Teller a émis l'hypothèse que l'explosion d'une bombe atomique pourrait générer une chaleur telle qu'elle déclencherait un emballement de la réaction de fusion, enflammant l'atmosphère de la Terre. Robert Oppenheimer, qui dirigeait les travaux scientifiques à Los Alamos sur la conception de la bombe, informé de cette hypothèse, aurait été « très excité » et aurait déclaré : « C'est une terrible possibilité[9] ». Cette crainte d'une extinction quasi-instantanée a été remise en question par Hans Bethe, qui dirigeait la division théorique de Los Alamos. Dans une interview ultérieure, Bethe a déclaré qu'il jugeait cette perspective « incroyablement improbable », mais il a noté que l'inquiétude persistait manifestement puisqu'en juillet 1945, à la veille de la première détonation d'une arme nucléaire, Enrico Fermi, physicien du projet Manhattan et lauréat du prix Nobel, a proposé à ses collègues de « parier si l'atmosphère sera incendiée par cet essai [10]». Certains scientifiques du projet Manhattan étaient prêts à parier sur ce résultat. L'incertitude quant à la possibilité de déclencher la fin du monde n'a pas empêché les scientifiques et les planificateurs militaires d'aller de l'avant avec le projet de développer de telles armes.

Le premier essai nucléaire (Trinity, réalisé au Nouveau-Mexique) a inspiré une vision de la bombe comme une menace non seulement pour l'humanité, mais aussi pour toutes les formes de vie. Le physicien I. I. Rabi, qui a assisté à l'explosion, a observé :

Au début, j'étais ravi. C'était une vision. Puis, quelques minutes plus tard, j'ai eu la chair de poule en réalisant ce que cela signifiait pour l'avenir de l'humanité. Jusqu'alors, l'humanité n'était qu'un facteur limité dans l'évolution et le processus de la nature. Les vastes océans, les lacs et les rivières, l'atmosphère n'étaient guère affectés par l'existence de l'humanité. Les nouvelles puissances représentaient une menace non seulement pour l'humanité, mais aussi pour toutes les formes de vie : les mers et l'air. On pouvait prévoir que rien n'était à l'abri de l'énorme puissance de ces nouvelles forces[11]

Dans les années 1950, la capacité de destruction des arsenaux nucléaires des États-Unis et, dans une moindre mesure, de l'Union soviétique, a augmenté massivement avec la création d'armes thermonucléaires (bombes à hydrogène). Ces nouvelles armes étaient beaucoup plus destructrices que les armes de la génération précédente, avec des  capacités de destruction mesurées en milliers de kilotonnes (mégatonnes) d’équivalent TNT, soit mille fois celle de l'arme atomique simple utilisée lors de l'essai Trinity et de celles utilisées plus tard pour détruire les villes d'Hiroshima et de Nagasaki. Comme auparavant, certains scientifiques de premier plan ont imaginé et partagé leur inquiétude quant à la poursuite et aux conséquences de la capacité de destruction envisagée, avant même que les travaux ne commencent.

Le comité scientifique du gouvernement américain mis en place en 1949 pour étudier la possibilité d'une bombe à hydrogène comprenait certains des physiciens qui avaient construit la première bombe atomique, parmi lesquels Robert Oppenheimer, Enrico Fermi et I. I. Rabi. Dans son rapport secret, le comité a estimé que des armes thermonucléaires pourraient probablement être fabriquées dans les cinq ans, mais s'y est fermement opposé. La majorité de ses membres a estimé que l'arme proposée serait une « arme de génocide », et une minorité est allée plus loin en déclarant : « Le fait qu'il n'existe aucune limite au pouvoir destructeur de cette arme fait de son existence même et de la connaissance de sa construction un danger pour l'humanité dans son ensemble. Il s'agit nécessairement d'une chose maléfique considérée sous n'importe quel angle.[13] » 

En prenant en compte uniquement l'arsenal américain, Daniel Ellsberg situe la naissance d'une « machine du Jugement Dernier (Doomsday Machine) » dans les années 1950[14]. Le 16 mars 1958, le général Robert Cutler, assistant spécial du président Eisenhower pour les affaires de sécurité nationale, a écrit au président que les besoins militaires nécessitaient « toutes les armes nucléaires pouvant être produites aussi rapidement que possible », tout en notant qu'un récent jeu de guerre avait impliqué sept millions de kilotonnes d'explosifs nucléaires et qu'il craignait que « l'effet d'un tel échange soit incalculable [...] [15]» Comme Cutler l'a proposé, l'arsenal nucléaire américain s'est rapidement développé, passant d'environ 7 000 armes en 1958 à environ 20 000 armes en 1960, avec une capacité totale de destruction supérieure à 20 millions de kilotonnes (20 000 mégatonnes), soit près de trois fois plus que ce qui avait été imaginé pour le jeu de guerre nucléaire[16]. Les conséquences « incalculables » d'un tel arsenal, susceptibles de mettre fin à la vie, ne semblaient pas pouvoir être limitées.

Les quelques personnes qui ont étudié les effets de la guerre nucléaire en Grande-Bretagne et en France étaient tout aussi conscientes que les premiers plans de guerre nucléaire entraîneraient un effondrement, au moins au niveau national[17]. Dès 1954, une revue française sur la protection civile affirmait que quinze armes thermonucléaires suffiraient à anéantir la France[18]. De même, en 1955, en Grande-Bretagne, le rapport secret sur les implications des armes thermonucléaires du comité Strath du ministère de la Défense estimait que 

"Quelque chose comme dix bombes “H”, chacune d'une puissance d'environ 10 mégatonnes, lancées sur la moitié ouest du Royaume-Uni ou dans les eaux proches du littoral occidental, avec les vents dominants normaux, perturberait effectivement la vie du pays et rendrait toute activité normale complètement impossible[19]". 

En 1955, l'Union soviétique disposait d'un total de 200 armes nucléaires et, à la fin de la décennie, elle en possédait plus de 1000 (les États-Unis avaient alors plus de 12 000 armes nucléaires) et les armes thermonucléaires allaient représenter une fraction croissante de leurs arsenaux et à aucun moment depuis lors, la capacité de destruction de l'arsenal nucléaire mondial n'a été plus faible.[20].

Les planificateurs militaires et les dirigeants politiques se sont préparés à la guerre nucléaire et pensaient en connaître les conséquences. En 1961, la Maison Blanche a demandé à l'état-major interarmées américain d'évaluer les pertes attendues du plan de guerre nucléaire américain en cours - Daniel Ellsberg a rédigé cette question au nom du président Kennedy. La réponse : 600 millions de morts dans les six mois, sans compter les décès dans la population américaine dus à d'éventuelles représailles soviétiques[21]. L'arithmétique de la destruction massive a été expliquée par le secrétaire américain à la défense, Robert McNamara, en 1964, lorsqu'il a donné son avis sur ce qu'il faudrait pour tuer un pays : « La destruction de, disons, 25 % de sa population et de plus des deux tiers de sa capacité industrielle signifierait la destruction de l'Union soviétique en tant que société nationale. McNamara a estimé qu'il faudrait environ 400 armes nucléaires du type de celles dont disposaient les États-Unis à l'époque pour provoquer une telle dévastation. 

Malgré l'analyse de McNamara, le nombre d'ogives américaines a augmenté de façon spectaculaire, atteignant un sommet de plus de 31 000 armes en 1967[22]. La même année, Robert McNamara a fait un constat sinistre :

La technologie nous a désormais tous entourés d'un horizon d'horreur concevable qui pourrait éclipser n'importe quelle catastrophe survenue à l'homme au cours de ses plus d'un million d'années de vie sur terre. L'homme vit depuis plus de vingt ans dans ce que nous appelons l'ère atomique. Ce que nous oublions parfois, c'est que tous les âges futurs de l'homme seront des âges atomiques. Si l'homme doit avoir un avenir, ce sera un avenir assombri par la possibilité permanente d'un holocauste thermonucléaire.[23]

Parallèlement à l'expansion de la destruction violente, qui est passée de la destruction de villes à la destruction de nations, à la destruction de civilisations et à la destruction du monde, et à l'extension de cette perspective à l'avenir de l'humanité, la vitesse à laquelle l'effondrement atomique peut être perpétré a changé de façon spectaculaire. Les missiles balistiques intercontinentaux, mis en service pour la première fois à la fin des années 1950, ont une portée de l'ordre de 10 000 km et une vitesse moyenne d'environ 25 000 km/heure, tandis que les avions à long rayon d'action se déplacent généralement à moins de 1 000 km/heure, soit environ vingt fois moins vite. Cela rend la protection et la défense contre les explosions d'armes nucléaires et l'effondrement qui en découle effectivement impossibles lorsque de tels missiles à têtes nucléaire sont disponibles. En janvier 1977, le secrétaire d'État Henry Kissinger a fait remarquer qu'« il est incongru pour un pays de prévoir une guerre nucléaire et de ne pas sauver sa société [24]». Les programmes de défense civile des États-Unis et de l'Union soviétique sont tous deux parvenus à la conclusion que sauver leur société était un objectif impossible à atteindre dans l'ère nucléaire qu'ils avaient contribué à créer[25]. Des personnes, des nations entières, devaient être défendues jusqu'à la mort, même si cela signifiait la fin de la civilisation à l'échelle planétaire.

S'il est vrai que depuis la fin de la guerre froide, le nombre d'ogives nucléaires sur la planète a massivement diminué, par rapport à un pic de plus de 70 000 dans les années 1980, il restera plus de 13 000 armes nucléaires en 2020, et les postures et plans d'armes nucléaires actuels, largement inchangés depuis la guerre froide, visent toujours à provoquer l'effondrement. Une simulation de premier ordre d'une guerre nucléaire entre les États-Unis et la Russie en 2020, utilisant les forces, les postures et les doctrines actuelles, a révélé qu'après seulement quelques heures de conflit, les pertes immédiates et les décès dépasseraient 90 millions de personnes, et les décès attendus des retombées nucléaires et des effets à long terme augmenteraient certainement cette estimation[26]. La destruction et les pertes ont été basées uniquement sur les effets des explosions et de la chaleur immédiate et des radiations plutôt que sur ce qui se passe lorsque des villes sont incendiées par des armes nucléaires.

Il convient de noter qu'au moins dans le cas des États-Unis, les effets incendiaires des explosions nucléaires n'ont pas été pris en compte dans l'évaluation des dommages pour les besoins en armement et le ciblage par les planificateurs militaires[27]. Les militaires ont toujours considéré que la prévision des effets d'incendie ne devait pas être incluse dans le calcul des conséquences de l'utilisation d'armes nucléaires et donc pas dans la planification d'une guerre nucléaire, car elle est plus incertaine que les effets prévisibles des ondes de choc provoquées par les explosions. Ces ondes de choc peuvent être mesurées, calibrées et mises à l'échelle de manière reproductible. Personne n'a jamais délibérément mis le feu à une ville entière pour en mesurer exactement les effets. Les effets du feu ont été mis en évidence dans les études sur l'hiver nucléaire des années 1980[28]. Mandatée par une résolution de l'Assemblée générale des Nations unies en 1985, une étude d'experts des Nations unies a conclu, en 1989, qu'« une guerre nucléaire majeure comporterait un risque élevé de perturbation de l'environnement mondial » :

Une guerre nucléaire majeure entraînerait un risque élevé de perturbation de l'environnement à l'échelle mondiale. Le risque serait le plus élevé si les grandes villes et les centres industriels de l'hémisphère nord étaient pris pour cibles pendant les mois d'été. De l'avis du groupe, il est peu probable que des incertitudes scientifiques résiduelles viennent infirmer cette conclusion. Le groupe indique que l'épuisement des réserves alimentaires qui pourrait résulter d'effets graves sur la production agricole pourrait confronter les nations ciblées et non ciblées à la perspective d'une famine généralisée. […] Les conséquences socio-économiques dans un monde intimement interconnecté sur le plan économique, social et environnemental seraient graves. Les fonctions de production, de distribution et de consommation des systèmes socio-économiques existants seraient complètement perturbées... D'autres conséquences environnementales globales d'un échange nucléaire majeur pourraient encore être identifiées[29]

Des travaux plus récents utilisant des modèles de changement climatique ont montré qu'outre des niveaux déjà catastrophiques de mort et de destruction dus aux explosions, aux incendies et aux radiations sur la cible, les villes incendiées par des attaques nucléaires produiraient de la suie qui s'envolerait dans la stratosphère et aurait des incidences environnementales mondiales pendant plus d'une décennie, même dans le cas d'un conflit impliquant quelques centaines d'armes nucléaires modernes[30]. L'un des effets environnementaux provient de la réduction de la lumière du soleil atteignant la surface de la Terre, ce qui entraîne une baisse de la température. Il y a également destruction de l'ozone atmosphérique, ce qui permet à davantage d'UV d'atteindre le sol. Ces trois effets sont potentiellement catastrophiques pour les systèmes biologiques, qu'il s'agisse de systèmes agricoles ou de biosystèmes naturels. Une guerre nucléaire impliquant ne serait-ce que quelques centaines d'armes pourrait détruire la civilisation moderne et condamner des milliards de personnes à la famine et à la mort[31].

Des niveaux de pertes incompatibles avec toute notion de proportionnalité sont planifiés et communiqués par ce que l'on appelle les petits États dotés d'armes nucléaires, dont la plupart ont des arsenaux de l'ordre de quelques centaines d'armes nucléaires chacun. Par exemple, dans un documentaire de 2016 produit par l'agence de communication du ministère français de la Défense [ECPAD], la voix off déclare : « Aucune frappe nucléaire chirurgicale n'est possible. C'est précisément le caractère redoutable de cette arme [32]». Une remarque similaire pourrait être faite à propos de tous les autres États dotés de l'arme nucléaire : Grande-Bretagne, Chine, Israël, Inde, Pakistan[33]. Même l'Afrique du Sud, qui a construit un arsenal nucléaire d'une demi-douzaine d'armes, le plus petit de l'histoire de l'ère nucléaire, a élaboré une stratégie nucléaire qui repose sur la possibilité de son propre effondrement en tant que société.

Il y a là une ironie particulière, car au cœur des décisions de dimensionnement des forces nucléaires américaines et soviétiques se trouve la notion de réduction des dommages que l'on pourrait subir en cas de guerre nucléaire. Cet objectif de la planification nucléaire en tant que « limitation des dommages » peut sembler à première vue aller à l'encontre de la logique présentée plus haut, selon laquelle la planification nucléaire a pour but de produire l'effondrement. Or, c'est le contraire qui est vrai. Essayer de limiter l'ampleur d'une guerre nucléaire en limitant les dégâts exigeait logiquement de se préparer à l'aggraver. Une structure de force nucléaire « limitant les dommages » repose sur le ciblage  « anti-forces », dans lequel les armes nucléaires ciblent les armes nucléaires adverses et les complexes connexes afin de les détruire de manière préventive. Ne serait-ce que parce que les planificateurs militaires conservateurs partent du principe qu'il faudra peut-être plus d'une d’s armes pour détruire de manière fiable une arme de l'adversaire, la recherche d'une structure de forces limitant les dommages a été utilisée pour justifier l'expansion de l'arsenal nucléaire. Elle a également conduit à des investissements dans la défense civile (considérée plus tard comme futile). Ces deux types d'investissements étaient censés contribuer à la capacité de survie en cas de guerre nucléaire[34].

Si les armes nucléaires sont considérées comme des instruments entièrement contrôlables et comme des solutions à des problèmes de dommages éventuellement excessifs dans un monde enclin à la guerre où les intentions futures des adversaires ne peuvent être connues avec certitude, et s'il est plus sage de prévoir le pire, alors la réduction de la vulnérabilité de vos propres armes et l'augmentation de la vulnérabilité des armes de l'adversaire sont susceptibles de devenir les principales préoccupations. La diversification de l'arsenal est alors un avantage net et la seule solution concevable. Aux États-Unis, cet argument a été formulé par Albert Wohlstetter, l‘un des stratèges nucléaires de la première génération, qui a fait valoir que même avec l'arrivée des armes nucléaires, « les objectifs fondamentaux de la guerre n'avaient pas changé. La destruction de la puissance de combat d'un adversaire restait l'objectif ultime de toute tentative de lutte contre un ennemi prédateur. La meilleure forme de dissuasion consisterait donc à remplacer [...] la « seconde frappe » par une stratégie de contre-force qui permette de gagner la guerre [35]».

Pour Wohlstetter, « la meilleure défense serait une offensive dépensière : un investissement dans des armes nucléaires technologiquement sophistiquées qui possèdent à la fois des capacités offensives et défensives. »[36]Indépendamment de l'influence d'Albert Wohlstetter en tant que stratège individuel, cette logique de limitation des dommages a été l'un des moteurs de l'acquisition d'armes nucléaires par les États-Unis[37]. Si l'Union soviétique n'a pas explicitement utilisé le concept de limitation des dommages, sa planification de la guerre nucléaire à partir du début des années 1960 était également fondée sur l'impératif de provoquer l'effondrement de l'ennemi - frapper la nation adverse suffisamment fort pour la mettre hors de combat et s'assurer de détruire ses forces nucléaires pour réduire sa capacité de riposte[38].

Le général Lee Butler, qui a servi à la fin de la guerre froide en tant que chef du US Strategic Air Command et de son successeur, le US Strategic Command, et qui était responsable de toutes les forces nucléaires, s'est penché sur son expérience dix ans plus tard et a conclu : « La guerre froide perdure dans l'esprit de ceux qui ne peuvent se débarrasser des peurs, des croyances et des inimitiés nées de l'ère nucléaire. Ils s'accrochent à la dissuasion, serrent sa promesse en lambeaux contre leur poitrine, l'agitent avec nostalgie vers des adversaires passés et avec méchanceté vers des adversaires nouveaux ou imaginaires. Ils sont encore saisis par sa terrible volonté, non seulement de tenter l'apocalypse, mais aussi de lui préparer le terrain [39]». Vingt ans après que Butler a écrit ces mots, rien n'indique que cette situation ait changé.

II / Rendre invisible la possibilité d'un effondrement nucléaire

La guerre nucléaire et l'effondrement de la civilisation qui en résulterait pourraient être déclenchés de quatre façons au moins : une frappe nucléaire délibérée, accidentelle, involontaire ou non autorisée. Comme nous l'avons démontré plus haut, les grandes bureaucraties continuent à se préparer et à planifier cette éventualité. Dans cette section, nous mettons l'accent sur deux mécanismes qui ont contribué à rendre ces quatre possibilités invisibles : une forme universelle de myopie de notre imagination qui nous affecte tous et des engagements et croyances situés de la part des experts et responsables des armes nucléaires qui les rendent enclins à invisibiliser la possibilité d'un effondrement nucléaire.

Le premier mécanisme a été diagnostiqué par le philosophe de l'ère nucléaire Günther Anders à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Réfléchissant à Hiroshima, il l'a identifié comme une « condition mondiale » marquée par ce qu'il a appelé un « décalage prométhéen » entre notre capacité à produire l'effondrement et notre capacité à l'imaginer, à le représenter et à s'y rapporter moralement, ce qui fait de nous des « utopistes inversés » :

« Nous sommes incapables de réaliser mentalement les réalités que nous avons nous-mêmes produites. C'est pourquoi nous pourrions nous appeler des « utopistes inversés » : alors que les utopistes ordinaires sont en fait incapables de produire ce qu'ils sont capables de visualiser, nous sommes incapables de visualiser ce que nous sommes en train de produire [40]».

L'idée d'Anders est importante car elle nous rappelle que ce décalage prométhéen n'est pas limité à une partie de la population. Les élites en charge de ces armes ne sont pas à l'abri. En effet, il ne suffit pas de dire qu'un effondrement d'origine nucléaire est possible pour le croire et agir en conséquence. L'attitude du président Barack Obama en la matière semble donner une illustration récente de ce problème. En 2016, lors de la toute première visite d'un président américain à Hiroshima, devant le Mémorial de la paix d'Hiroshima, Obama a déclaré : « Hiroshima enseigne cette vérité. Le progrès technologique sans un progrès équivalent des institutions humaines peut nous condamner. La révolution scientifique qui a conduit à la fission de l'atome nécessite également une révolution morale [41]». Sa réaction à la révision du plan de guerre nucléaire américain (Single Integrated Operational Plan ou SIOP) illustre toutefois à la fois son incrédulité et son incapacité à la traduire en actions proches de la “révolution” qu'il appelait de ses vœux. 

Lors d'une des réunions de suivi du Conseil de sécurité nationale visant à définir les orientations en matière d'emploi des armes nucléaires (les principes et les politiques qui sous-tendent les décisions relatives à la taille et à la structure de l'arsenal nucléaire, à la posture et à l'utilisation des armes nucléaires), Obama s'est impatienté face aux scénarios et aux calculs qui lui ont été présentés et a déclaré : « Disons que tout cela est insensé », mais il a laissé les chiffres et le plan inchangés[42].

Un autre indicateur du problème est le manque de volonté et de préparation des gens, y compris des décideurs, à penser à la guerre nucléaire et au rôle qu'ils y joueraient. Historiquement, l'attention portée par le public aux dangers nucléaires a été, au mieux, épisodique et liée à des crises immédiates, et le discours officiel et dominant des experts sur la question a dépeint une plus grande implication du public dans le débat nucléaire comme mal informée, inutile et gênante. En ce qui concerne le leadership, le dernier président américain à avoir participé personnellement à une simulation de crise nucléaire est Jimmy Carter, il y a plus de quarante ans. Un large éventail de facteurs psychologiques et comportementaux en interaction a été proposé pour expliquer une telle myopie à l'ère nucléaire. Personne, pas même un président, n'a été correctement préparé à décider de l'utilisation d'armes nucléaires parce que nous avons été psychologiquement désensibilisés par « l'engourdissement psychique, l'effondrement de la compassion, le tribalisme, la déshumanisation des autres, la culpabilisation des victimes, les défaillances de l'attention et les processus décisionnels défectueux, qui ont tous pour effet de détruire les sentiments et la compréhension qui nous empêcheraient normalement de planifier, d'exécuter et de tolérer des actes aussi inhumains[43]». Pour reprendre les termes d'Anders, nous sommes devenus des « paresseux de l'apocalypse » qui ont grand besoin d'exercer leur sens moral et leur imagination[44].

La manifestation de ces facteurs comportementaux est mise en évidence dans une étude menée par la sociologue Lynn Eden sur les planificateurs de guerre nucléaire américains, qui a conclu que « les planificateurs suppriment la signification humaine des conséquences des actions hypothétiques qu'ils planifient ». Un « fonctionnaire du gouvernement travaillant à la planification stratégique de la guerre nucléaire » a expliqué à Eden que c'était :

[Un] fardeau émotionnel de lire les plans de guerre. On commence à perdre de vue qu'il s'agit de la fin de la civilisation. Vous regardez cela et vous pensez que vous pourriez avoir à utiliser l'un de ces [plans] un jour, et c'est tout simplement ahurissant.... Je me suis dit : « Mon Dieu, ce n'est pas une simple abstraction, c'est réel. C'est ce que nous avons l'intention de faire dans une situation x, y ou z. » C'était incroyablement bouleversant et.... Il était en fait difficile de travailler pendant les deux premières semaines. J'ai eu du mal à les prendre au sérieux parce que j'avais envie de les secouer et de leur dire : « Vous vous foutez de ma gueule ? .... Vous avez perdu la tête ? Comment pouvez-vous envisager une option d'attaque qui ressemble à ça ? ».... Je pense que lorsque vous travaillez assez longtemps sur le ciblage, vous ... à un certain moment [vous] devez arrêter de penser à ce que l'exécution de l'une de ces options signifie vraiment. Parce que je ne sais pas comment vous pourriez vivre avec vous-même si vous le faisiez[45]

Le second mécanisme découle de ce que E.P. Thompson a appelé le « système de soutien scientifique, politique et idéologique » à la structure exterministe nucléaire, « le système social qui la recherche, la “choisit”, la produit, la réglemente, la justifie et la maintient en vie ». Ce système se caractérise par un niveau inhabituel de secret, de complexité technologique et de privilège de compétences et d'accès spécialisés[46]. Cependant, les positions et les engagements des experts et des fonctionnaires dans ce système tendent à les rendre largement incapables de faire la lumière sur toutes les formes d'effondrement induites par le nucléaire, que nous appellerons les vulnérabilités nucléaires matérielles. En d'autres termes, on ne peut pas compter sur ces experts pour compenser notre incapacité à imaginer la possibilité d'un effondrement d'origine nucléaire.

Les fonctionnaires et la plupart des experts des États dotés d'armes nucléaires sont pris dans le double jeu, descriptif et performatif, du discours de dissuasion[47]. Leurs compétences spécialisées et/ou leur accès à des informations classifiées font d'eux des interlocuteurs privilégiés pour décrire le fonctionnement des systèmes d'armes nucléaires. En même temps, leur discours sur la dissuasion vise à convaincre plusieurs publics de l'adéquation et de l'efficacité de la politique de dissuasion nucléaire. Cet objectif de performativité dans un contexte où une seule explosion nucléaire est intolérable crée des contraintes spécifiques sur ce qui peut être dit. Ces experts finissent par devoir affirmer que le système nucléaire en tant que système de contrôle fonctionne parfaitement, afin que leurs publics croient en la crédibilité de la promesse de représailles nucléaires et ne craignent pas des explosions accidentelles, une escalade ou une première frappe nucléaire causée par une rupture du protocole de commandement et de contrôle. Cette performance excessive de contrôlede l'avenir est particulièrement visible aux États-Unis dans la production de documents de planification gouvernementaux sur la gestion des conséquences d'une guerre nucléaire par des institutions aussi diverses que l'Agence fédérale de gestion des urgences ou les services postaux américains. La production de ces « documents fantaisistes », comme l'a décrit le sociologue Lee Clarke, faisait partie d'une performance de contrôle, de prévisibilité et même de capacité de survie, face à une guerre nucléaire[48].

Au-delà de ces obstacles discursifs à la reconnaissance de toutes les voies menant à un effondrement d'origine nucléaire, les positions institutionnelles des experts qui seraient consultés sur ces questions créent un possible devoir de dissimuler ou de sous-estimer les vulnérabilités et les limites du contrôle en la matière. Les informations ne peuvent être recueillies qu'auprès d'individus qui se sont engagés, pour des raisons professionnelles et patriotiques, à servir des institutions qui ont intérêt à ne pas révéler les limites et les faiblesses de l'infrastructure nationale d'armement nucléaire. Cet intérêt fait également partie de leur mandat. Même une explosion nucléaire injustifiée aurait de telles conséquences, et serait jugée si intolérable que les contrôles des systèmes d'armes nucléaires sont presque uniques dans l'exigence de perfection qui leur est imposée. Dans une évaluation majeure de l'histoire des accidents des systèmes d'armes nucléaires américains, Eric Schlosser a suggéré que « si une seule arme avait été volée ou avait explosé, le système de commande et de contrôle américain aurait quand même atteint un taux de succès de 99,99857 pour cent [49]». Cette évaluation n'est cependant pas uniquement américaine. L'agence française pour les armes nucléaires, le Directeur des Applications Militaires du Commissariat à l'Energie Atomique, exprime un sentiment similaire quant au caractère intolérable de toute explosion nucléaire non désirée[50]. Plus généralement, il convient de noter qu' aucune explosion accidentelle ou involontaire d'arme nucléaire n'a été signalée par l'un des dix Etats qui ont fabriqué des armes nucléaires à ce jour.

Aux États-Unis, Robert L. Peurifoy et Gordon O. Moe, ingénieurs chargés de la sécurité des armes nucléaires au Sandia National Laboratory, ont évoqué la difficulté de faire admettre à la haute direction d'un laboratoire d'armes nucléaires les limites du contrôle exercé par l'institution sur ses armes nucléaires[51]. On retrouve une attitude similaire dans les mémoires de l'amiral Jean Philippon, chef de l'état-major particulier du président de Gaulle, où il avoue n'avoir jamais signalé au président le cas d'un Mirage IV ayant décollé avec une arme nucléaire sous son aile à la suite d'une défaillance technique, car cela aurait été considéré comme une grave perte de contrôle[52]. Ces incitations convergent pour surestimer le niveau de contrôle des armes nucléaires dans les cas présents ou passés d'évitement d'explosions non désirées d'armes nucléaires[53]. Pour ces institutions et leurs employés, reconnaître les limites de leur contrôle et de leur connaissance des possibilités revient à admettre l'échec. Ainsi, dans le meilleur des cas, on peut s'attendre à ce que les institutions et les personnes limitent ce qui est réellement dit sur les limites du contrôle de l'effondrement d'origine nucléaire, mais dans tous les cas, l'image de ces limites sera loin d'être complète.

Grâce à une série d'hypothèses et de croyances non prouvées et à une idéologie de « l'ordre nucléaire », la plupart des experts et des responsables des armes nucléaires ont réussi à agir et à parler comme s'ils croyaient qu'une guerre nucléaire ne se produirait jamais[54]. Ces convictions peuvent être sincères ou simplement liées à la confiance dans les institutions chargées de maintenir la crédibilité de la dissuasion nucléaire. Quoi qu'il en soit, l'effet du déni des possibilités d'effondrement induit par le nucléaire est le même et conforte le diagnostic d'Anders sur la myopie de l'imagination. Pour les stratèges, la séduction du discours technostratégique rend la guerre nucléaire impossible grâce à l'illusion d'un contrôle parfait sur une technologie docile[55]. L'anthropologue Hugh Gusterson a appelé cela « l'axiome central » présent dans la plupart de ses conversations avec les scientifiques du Lawrence Livermore National Laboratory à la fin des années 90[56]. Il semble fondé sur la croyance que la technologie est inerte et ne dépend et ne répond qu'aux demandes humaines - en fait une philosophie instrumentale de la technologie - et que l'humanité (ou du moins une partie d'entre elle déterminée à partir d’opinions concernant le sexe, la race, la classe, l'éducation et d'autres distinctions sociales) est suffisamment rationnelle pour ne pas utiliser ces armes et donc pour conclure que la guerre nucléaire est impossible et ne se produira jamais. Ces hypothèses sans fondement suffisent à invisibiliser les quatre origines possibles de l'effondrement d'origine nucléaire : une explosion accidentelle à la suite d'un dysfonctionnement technologique, une fausse alerte, un lancement non autorisé et un lancement délibéré.

Les professionnels des jeux de guerre, dont la mission était d'identifier les conditions spécifiques de déclenchement d'une guerre nucléaire, n'ont pas fait mieux. En effet, les concepteurs les plus célèbres de ces jeux du début des années 1960 n'ont pas réussi à déclencher une guerre nucléaire, ce qui montre à quel point il est difficile de concevoir sa possibilité dans le cadre de la pensée stratégique classique[57]. Dans une interview accordée à PBS en 1986, l'ancien secrétaire à la défense Robert McNamara élargit cette observation à l'ensemble de la guerre froide[58]. Et ce n'est pas typiquement américain. On retrouve des hypothèses similaires dans une interview réalisée en 1971 par l'un des stratèges nucléaires français les plus respectés, le général André Beaufre[59].

L'incapacité à voir et à accepter la possibilité d'un effondrement d'origine nucléaire est largement partagée par les membres du système de soutien aux armes nucléaires. Le témoignage de 2015 du lieutenant Kristin Nemish de l'US Air Force, chargée du lancement d'une série de 10 missiles balistiques intercontinentaux à tête nucléaire, révèle l'expression directe d'une foi auto-aveuglante dans le contrôle nucléaire. Elle peut affirmer confortablement que : « Peu importe ce qui arrive au travail, tout va toujours bien dès que je passe la porte et que je vois [les visages souriants de mes enfants]. [60]» Elle oublie que ce qui pourrait se passer au travail, et qui justifie en grande partie son travail, c'est le début d'une guerre nucléaire à laquelle, selon toute probabilité, ses enfants ne survivraient pas, d'autant plus qu'ils vivent dans une zone proche de silos de missiles et d'une base aérienne qui seraient certainement des cibles nucléaires.

La difficulté de prendre au sérieux la possibilité d'un effondrement nucléaire semble donc courante, même parmi les professionnels chargés de le planifier et de le déclencher. Au-delà de l'axiome central décrit ci-dessus, le discours sur le « tabou nucléaire » contribue également à perpétuer le sentiment d'impossibilité de l'un des modes d'effondrement induit par le nucléaire, à savoir la frappe nucléaire délibérée[61]. Le président Obama aurait mené sa politique en matière d'armes nucléaires comme s'il pensait qu'un tabou nucléaire existait et avait de l'importance[62]. L'idée partagée d'un tabou fondamental permet aux décideurs stratégiques, politiques et techniques de prendre des risques qui ouvrent la porte à l'utilisation de l'arme nucléaire en servant de filet de sécurité moral de dernier recours pour une performance mettant en péril la vie des gens. Le système exterministe peut ainsi continuer à fonctionner normalement et à tolérer les risques, au lieu de devoir interrompre brutalement la planification et la préparation de la menace et de l'utilisation d'armes nucléaires. L'historien de l'ère nucléaire Richard Rhodes a corroboré cette idée : « Malgré plusieurs incidents évités de justesse, [...] personne parmi les autorités ne croit que ces maudits engins vont exploser, et donc tout le monde veut jouer avec eux, comme des chasseurs de trésors se vautrant dans un coffre-fort de pièces d'or truffé de scorpions gardiens, comme des enfants découvrant le pistolet chargé que leurs parents ont négligé par inadvertance de mettre sous clé[63] ».

Le dernier mot sur la situation actuelle revient au général John Hyten, qui a dirigé le Commandement stratégique des États-Unis de 2016 à fin 2019. Hyten a décrit en 2018 l'exercice annuel de commandement et de contrôle Global Thunder organisé par son commandement :

Je veux juste que vous vous demandiez dans votre tête, comment vous pensez que cela se termine ? Cela se termine de la même manière à chaque fois. Vraiment. Cela se termine mal. Et cela signifie que ça se termine par une guerre nucléaire mondiale. Et devinez quoi ? Nous devons pratiquer cela tous les jours. Et c'est ce que nous faisons. Nous le pratiquons tous les jours parce que nous devons être bons dans ce domaine[64].

Conclusion : L'avenir de l'effondrement nucléaire

Le début de l'ère des armes nucléaires, à travers les traces de retombées radioactives laissées dans le monde entier par les essais d'armes nucléaires dans l'atmosphère, est l'un des éléments susceptibles de marquer le basculement de notre histoire planétaire dans une nouvelle époque géologique, souvent appelée l'« Anthropocène ». (NdT : le 5 mars 2024, la commission internationale de stratigraphie a refusé la proposition de définir l’anthropocène comme une nouvelle époque géologique. Mais la catégorie demeure heuristique même en l’absence de cette dimension.) À cette époque, l'influence de l'humanité sur la biosphère de la planète, qu'elle soit voulue ou non, mais souvent prévisible, a été amplifiée - nous et nos actions forment désormais un processus de façonnement de la planète[65].S'il est vrai que l'ère nucléaire crée cette nouvelle forme de pouvoir pour l'espèce, il est crucial que nous prenions pleinement conscience que ce pouvoir est lié à un petit nombre de structures exterministes puissantes et profondément enracinées qui ont la capacité et la volonté de provoquer un effondrement planétaire par le biais d'une guerre nucléaire. Sur les 193 États membres des Nations unies, seuls neuf disposent aujourd'hui d'armes nucléaires.

Ce chapitre a tenté d'établir que depuis au moins 75 ans, il existe la possibilité technique et l'imagination politique nécessaire pour provoquer un effondrement catastrophique au niveau national et peut-être mettre fin à la civilisation, avec des conséquences catastrophiques pour le bien-être de l'humanité dans le monde entier. La planification et la préparation de cet effondrement ont été au cœur des institutions et des politiques des États dotés d'armes nucléaires, et implicitement de leurs alliés, qui reproduisent les affirmations selon lesquelles seules les armes nucléaires peuvent assurer la sécurité nationale[66]. Tout au long de ces années, il y a eu une résistance individuelle et collective et une politique continue et déterminée dans le monde entier visant à faire face à cet ensemble de systèmes exterministes et aux menaces qu'ils représentent[67]. Les deux processus ont servi de facteur liant l'humanité dans une expérience mondiale commune au cours de cette période. Si nous sommes une civilisation mondiale, c'est en partie parce que les armes nucléaires créent une condition mondiale que nous sommes obligés de partager et que toute vie et politique, même celle qui vise l'avenir, se déroule dans cette condition en raison de l'ombre de la catastrophe qu'elle incarne.

À l'aube de cette ère d'exterminisme, le tout nouveau Comité d'urgence des scientifiques atomistes, dirigé par Albert Einstein, a mis en garde en 1947 contre le danger et a cherché à tracer la voie à suivre pour faire face à la bombe :

« En libérant l'énergie atomique, notre génération a introduit dans le monde la force la plus révolutionnaire depuis la découverte du feu par l'homme préhistorique. Cette puissance fondamentale de l'univers ne peut s'inscrire dans le concept dépassé des nationalismes étroits. Car il n'y a pas de secret ni de défense ; il n'y a pas de possibilité de contrôle si cen'est par la compréhension éveillée et l'insistance des peuples du monde... C'est là que réside notre seule sécurité et notre seul espoir - nous croyons qu'un citoyen informé agira pour la vie et non pour la mort ».

Le poids des efforts déployés pour essayer de comprendre le danger nucléaire et la possibilité de le contrôler ouvre un espace à la tentation de chercher à se rassurer, de vouloir croire les affirmations des dirigeants et des experts selon lesquelles il est possible de vivre avec la bombe en toute sécurité, même s'ils ne savent pas et ne peuvent pas expliquer ou contrôler toutes les possibilités menant à la guerre nucléaire et à l'effondrement qui en résulterait. Nous avons cédé à cette tentation au cours de ces nombreuses années. Elle a pris au moins deux formes : le décalage prométhéen, identifié par Gunther Anders, qui fait que notre capacité à causer des dommages dépasse notre capacité à représenter ces dommages et à y faire face, et l'incapacité des professionnels de l'armement nucléaire à rechercher et à décrire toutes les voies menant à l'effondrement induit par le nucléaire, alors que leur position privilégiée au sein de la structure exterministe les place dans une position unique pour le faire. Cette vulnérabilité épistémique s'ajoute à la vulnérabilité matérielle de la possibilité d'un effondrement de la civilisation.

Les partisans d'une sécurité nationale et internationale fondée sur les armes nucléaires - la partie du système exterministe qui « la choisit, la produit, la dirige, la justifie et la maintient en vie » - affirment en fin de compte que la possibilité continue de produire l'effondrement est une condition nécessaire pour l'empêcher. Le mouvement anti-systémique, qui recherche une sécurité nationale et internationale non nucléaire, affirme quant à lui que pour éviter un tel effondrement, il faut démanteler les armes, les installations, les institutions et les structures de connaissance qui produisent la « poussée vers l'exterminisme ». En termes éthiques, le premier camp ne renoncerait pas à la possibilité de commettre des violences nucléaires massives en toutes circonstances comme condition de sa survie - un présent permanent pour les États nucléaires, leurs régimes et leurs institutions, servant à coloniser et à fermer d'autres avenirs éventuellement bénins pour l'humanité. Le camp du monde sans armes nucléaires ne soutiendrait pas, ne menacerait pas et ne commettrait pas de violence nucléaire, où que ce soit et quelles qu'en soient les conséquences - la survie permet des politiques et des actions futures capables de réaliser et de créer de nouvelles possibilités pour l'humanité. Comme l'a reconnu le regretté Jonathan Schell, « le jour où la dernière arme nucléaire sur terre serait détruite serait un grand jour. Ce serait un jour de célébration. Nous aurions donné corps à notre choix de créer l'avenir de l'humanité. Nous aurions dissipé une fois pour toutes le fatalisme et le manque de foi en l'homme qui, comme une ombre sombre de l'extinction elle-même, se sont insinués en nous[68] ».

Ces deux positions politiques et éthiques sont radicalement incompatibles. L'entrée en vigueur, début 2021, du traité des Nations unies sur l'interdiction des armes nucléaires, soutenu par 122 pays mais par aucun des neuf États dotés d'armes nucléaires, nous rappelle brutalement cette incompatibilité. Entre autres obligations juridiques internationales, le traité engage les États à « ne jamais, en aucune circonstance, mettre au point, tester, produire, fabriquer, acquérir d'une autre manière, posséder ou stocker des armes nucléaires ou d'autres dispositifs nucléaires explosifs ... utiliser ou menacer d'utiliser des armes nucléaires ou d'autres dispositifs nucléaires explosifs ». 

Si la possibilité d'un effondrement nucléaire plane toujours, elle est profondément contestée et risque de s'accentuer compte tenu des contradictions entre les États dotés d'armes nucléaires et les États non dotés d'armes, ainsi qu'entre les citoyens mobilisés et les défenseurs de l’ordre établi au sein des États dotés d'armes nucléaires, en particulier ceux qui disposent d'une gouvernance politique démocratique[69]. Pour choisir la manière dont on aborde la question en tant qu'individu, collectif ou communauté politique, il faut avant tout reconnaître l'existence de systèmes exterministes et les dimensions matérielles et épistémiques des vulnérabilités nucléaires qu'ils génèrent et que nous subissons.

Traduit de l'anglais avec le concours de Sylvie Decaux que nous remercions.

[1]  Lewis Mumford, “Gentlemen, You are Mad!” The Saturday Review of Literature, March 2, 1946, pp. 5-7, p. 5.

[2]  Thomas Moynihan, X-Risk. How Humanity Discovered its Own Extinction. Boston, MIT Press, 2020.

[3]  E. P. Thompson, “Notes on Exterminism, The Last Stage of Civilization,” New Left Review, Issue 121, May/June 980, p. 22.

[4]  Henry Stimson, “Memorandum Discussed with the President, April 25, 1945,” https://nsarchive.gwu.edu/documents/atomic-bomb-end-world-war-ii/006b.pdf.

[5]  Harry S. Truman, Diary, July 25, 1945, http://www.dannen.com/decision/hst-jl25.html.

[6]  Martin Sherwin, A World Destroyed: Hiroshima and the Origins of the Arms Race (New York: Vintage Books, 1987) p. 221.

[7]  Hans M. Kristensen and Matt Korda, Status of World Nuclear Forces Federation of American Scientists, https://fas.org/issues/nuclear-weapons/status-world-nuclear-forces.

[8]  Otto Frisch and Rudolf Peierls, “Memorandum on the Properties of a Radioactive Superbomb,” repris dans Lorna Arnold, “The History of Nuclear Weapons: The Frisch-Peierls Memorandum on the Possible Construction of Atomic Bombs of February 1940,” Cold War History 3 (April 2003), pp. 111–26.

[9]  John Horgan, “Bethe, Teller, Trinity and the End of Earth - A leader of the Manhattan Project recalls a discussion of whether the Trinity test would ignite Earth's atmosphere and destroy the planet,” Scientific American, August 4, 2015, https://blogs.scientificamerican.com/cross-check/bethe-teller-trinity-and-the-end-of-earth.

[10]  Horgan, 2015.

[11]  Ferenc Morton Szasz, The Day the Sun Rose Twice: The Story of the Trinity Site Nuclear Explosion, July 16,1945, Albuquerque, NM: University of New Mexico Press, 1984, p.90.

[12]  Zia Mian, “Out of the Nuclear Shadow: Scientists and the Struggle against the Bomb,” Bulletin of the Atomic Scientists, January 1, 2015.

[13]  General Advisory Committee, United States Atomic Energy Commission, Report on the “Super,” October 30, 1949. Reprinted in: Herbert F. York, The Advisors: Oppenheimer, Teller, and the Superbomb. Stanford, CA: Stanford University Press, p.160-161.

[14]  Daniel Ellsberg, The Doomsday Machine, New York: Bloomsbury, 2017.

[15]  Cited in Martin J. Sherwin, Gambling with Armageddon, New York: Alfred Knopf, 2020, p. 136.

[16]  Robert S. Norris & Hans M. Kristensen, “U.S. Nuclear Warheads, 1945-2009,” Bulletin of the Atomic Scientists, 65:4, 2009, pp. 72-81.

[17]  Pour le Royaume-Uni, voir le travail du physician britannique Patrick Maynard Stuart Blackett, Fear, War and the Bomb: Military and Political Consequences of Atomic Energy, New York, McGraw-Hill, 1949; Atomic Weapons and East-West relations, Cambridge: Cambridge University Press, 1956; Studies of War: Nuclear and Conventional, New York: Hill and Wang, 1962.

[18]  Isabelle Miclot, “Guerre Nucléaire, Armes et... Parades?: Hypothèses Conflictuelles et Politique de Protection Civile en France Dans les Années 1950’-1960’,” halshs-00816621, 2011 p. 10 note 29.

[19]  Jeff Hughes, “The Strath Report: Britain Confronts the H‐Bomb, 1954–1955,” History and Technology, 19:3, 2003, p. 263.

[20] 20 Robert S. Norris and Hans Kristensen, “Global Nuclear Weapons Inventories 1945-2013”, Bulletin of the Atomic Scientists 69(5), 2013, p. 78.

[21]  Daniel Ellsberg, The Doomsday Machine, p. 2.

[22]  Norris and Kristensen, 2013.

[23]  Robert McNamara, “U.S. Nuclear Strategy,” Remarks to United Press International Editors and Publishers, San Francisco, September 18, 1967. Published in Bulletin of the Atomic Scientists, Vol. 23, No. 10 (December 1967), pp. 26-31.

[24]  Memorandum of conversation, "Secretary’s Meeting with the General Advisory Committee on Arms Control and Disarmament," 6 January [1977], Digital National Security Archive, disponible en ligne à l’adresse <http://nsarchive.gwu.edu/nukevault/ebb521-Irans-Nuclear-Program-1975-vs-2015/07.pdf>.

[25]  Edward Geist, Armageddon InsuranceCivil Defence in the United States and the Soviet Union, University of North Carolina Press, 2018.

[26]  “Plan A: How a Nuclear War Could Progress,” Arms Control Today, July/August 2020, pp.23-36; video à https://youtu.be/2jy3JU-ORpo.

[27]  Lynn Eden, Whole World on fireOrganizations, Knowledge and Nuclear Weapons Devastation, Cornell, Cornell University Press, 2004.

[28]  Richard P. Turco, Owen B. Toon, T. P. Ackerman, J. B. Pollack, and Carl Sagan, “Nuclear Winter: Global Consequences of Multiple Nuclear Explosions,” Science, Vol. 222, n°4630, pp. 1283-1292, 23 Dec 1983; The Cold and the Dark: The World after Nuclear War, eds. Paul Ehrlich Carl Sagan, Donald Kennedy and Walter Orr, (Norton, 1984).

[29]  Department for Disarmament Affairs, Report of the Secretary-General, Study on the Climatic and Other Global Effects of Nuclear War, United Nations, New York 1989, p.6-7.

[30]  Owen B. Toon, Charles G. Bardeen, Alan Robock, Lili Xia, Hans Kristensen, Matthew McKinzie, R. J. Peterson, Cheryl Harrison, Nicole S. Lovenduski, and Richard P. Turco, “Rapid Expansion of Nuclear Arsenals by Pakistan and India Portends Regional and Global Catastrophe,” Science Advances, Vol. 5, no. 10, 2019.

[31]  Alan Robock et al, “A Regional Nuclear Conflict Would compromise Global Food Security”, Proceedings of the National Academy of Sciences 117(13), 31 March 2020.

[32]  Voix-off dans Stéphane Gabet, La France, le Président et la Bombe, 2016, at 15’10s.

[33]  For South Asia, see e.g., Zia Mian, “Kashmir, Climate Change, and Nuclear War,” Bulletin of the Atomic Scientists, December 7, 2016.

[34]  Gabriel Kolko, “Can Civil Defense be Effective?” in Seymour Melman, ed., No Place to Hide: Fallout Shelters- Fact and Fiction (New York: Grove Press, 1962), 131.

[35]  Ron Robin, The Cold World They Made : The Strategic Legacy of Roberta and Albert Wohlstetter, Cambridge: Harvard University Press, 2016, p. 85.

[36]  Ibid., p. 86.

[37]  Lynn Eden, “The U.S. Nuclear Arsenal and Zero: Sizing and Planning for Use—Past, Present, and Future ”, dans Catherine Kelleher et Judith Reppy (eds.), Getting to Zero: The Path to Nuclear Disarmament, Stanford (Calif.), Stanford University Press, 2011, p. 69-70; Daniel Ellsberg, The Doomsday Machine, p. 120-3, 341, 344-5, 349.

[38]  David Holloway, “Racing Towards Armageddon? Soviet Views of Strategic Nuclear War 1955-1972” in John Ikenberry and Michael Gordin (eds), The Age of Hiroshima, Princeton: Princeton University Press, 2020, p. 76-77.

[39]  Lee Butler, “The False God of Nuclear Deterrence,” Global Dialogue, Autumn 1999, pp. 74-81, p.81.

[40]  Günther Anders, “Theses for the Atomic Age,” Massachusetts Review 3, no. 3 (Spring 1962), pp. 496-7.

[41]  Remarques du Président Obama au Mémorial de la Paix d’Hiroshima, Japon, 27 mai 2016, https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2016/05/27/remarks-president-obama-and-prime-minister-abe-japan-hiroshima-peace.

[42]  Fred Kaplan, The Bomb: Presidents,Generals and the Secret History of Nuclear War, New York: Simon & Schuster, 2020, p. 243-4.

[43]  Paul Slovic and Herbert S. Lin, “The Caveman and the Bomb in the Digital Age”, in Harold Trinkunas (dir.), Three Tweets from Midnight, Stanford (Calif.), Hoover Press, 2020, p. 58 et Paul Slovic et Daniel Västfjäll, “The More Who Die, the Less We Care. Psychic Numbing and Genocide”, in Scott Slovic et Paul Slovic (dirs.), Numbers and Nerves: Information, Emotion, and Meaning in a World of Data, Corvallis (Or.), Oregon State University Press, 2015, p. 55-68

[44]  Günther Anders, “L’Homme Sur le Pont,” Journal d’Hiroshima et de Nagasaki, 1958 reprisdansGünther Anders, Hiroshima est Partout, p. 194. Sur le rôle de la fiction comme médiation permettant de sortir de cette condition,  voir Benoît Pelopidas, “Imaginer la Possibilité de la Guerre Nucléaire pour y faire face. Le rôle de la culture populaire visuelle de 1950 à nos jours ”, Cultures et Conflits 123-4, automne-hiver 2021.

[45]  Lynn Eden, “U.S. Planning for Pandemics and Large-Scale Nuclear War Lynn,” Working Paper presented to The 75th Anniversary Nagasaki Nuclear-Pandemic Nexus Scenario Project, October 31-November 1, and November 14- 15, 2020, http://nautilus.org/wp-content/uploads/2020/11/Eden_WP_Nagasaki_20201124_Final.pdf.

[46]  Les planificateurs de la guerre nucléaire considèrent souvent que leurs pratiques et discussions ne doivent pas être rendues publiques. Voir par exemple l’ancien Commandant en chef du Stratcim américain, Russell E. Dougherty, qui l’écrit explicitement dans “The Psychological Climate of Nuclear Command,” in Managing Nuclear Operations, Washington (D.C.), Brookings Institution Press, 1987, p. 420.

[47]  Benoît Pelopidas, “Nuclear Weapons Scholarship as a Case of Self-Censorship in Security Studies,” Journal of Global Security Studies, 1(4), November 2016.

[48]  Lee Clarke, Mission Improbable: Using Fantasy Documents to Tame Disaster, Chicago: Chicago University Press, 1999, pp. 30-40.

[49]  Eric Schlosser, Command and Control, New York: Allen Lane, 2013, p. 480.

[50]  François Gezelnikoff in Stéphane Gabet, La France, le Président et la Bombe, 2016, at 27’.

[51]  Archives personnelles de Robert L. Peurifoy, Kerrville, TX, USA et Robert L. Peurifoy. (2012) “A Personal Accountof Steps Towards Achieving Safer Nuclear Weapons in the US Nuclear Arsenal” in George P. Shultz and Sidney D. Drell, (eds.), The Nuclear Entreprise. High-Consequence Accidents: How to Enhance Safety and Minimize Risks in Nuclear Weapons and Reactors, Stanford: Hoover Press, 2012, pp. 67- 89; entretien d’un des auteurs avec Gordon O. Moe qui, en Juillet 1988, a remis une étude sur le feu de Grand Forks de septembre 1980. Kerrville, Texas,26 November 2017.

[52]  Vice-amiral Jean Armand Marc Philippon, La Royale et Le Roi, Paris, France Empire, 1982, p. 154.

[53] Pour une analyse plus approfondie de la manière dont les limites du contrôle et de la connaissance des armes nucléaires sont sous-estimées, négligées ou traitées de manière incohérente, voir Benoît Pelopidas, Repenser les choix nucléaires. Paris: Presses de Sciences Po, 2022 : 208-13, 283-91.

[54]  Steven Kull, Minds at War: Nuclear Reality and the Inner Conflicts of Defense Policymakers. New York: Basic Books, 1988; Kjølv Egeland, “The Ideology of Nuclear Order”, New Political Science, 43:2, 2021.

[55]  Carol Cohn, “Sex, death and the rational world of defense intellectuals,” Signs 12 :4, 1987; Robert J. Lifton and Eric Markusen, The Genocidal Mentality. New York: Basic Books, 1990.

[56]  Hugh Gusterson, Nuclear RitesA weapons laboratory at the end of the Cold War, Berkeley, University of California Press, 1996, chap. 3.

[57]  Fred Kaplan, The Wizards of Armageddon, (New York, 1983), 302; Thomas Schelling, “Harvard Kennedy School Oral History: Thomas Schelling,” minutes 39 and 40; Robert Dodge, The Strategist. The Life and Times of Thomas Schelling, Holis Pub. Co, 2006, pp. 82-83 and Marc Trachtenberg, “Strategic thought in America,” Political Science Quarterly 104/2 (1989), pp. 301-34, p. 310.

[58]  La « déception » et l'« incompréhension » de Thomas Schelling face à la fin explicite du Dr. Folamour sont révélatrices de cet aveuglement. Il affirme : « Folamour ; on n'est pas sûr de la fin parce que quelqu'un tombe avec une bombe et que le film se termine et qu'il y a des champignons atomiques partout et qu'on ne sait pas si cela signifie 'et ainsi la guerre a eu lieu' ou si c'est juste emblématique et qu'on ne sait pas quelle est l'issue ». Thomas Schelling, “Harvard Kennedy School Oral History: Thomas Schelling,” minute 43. Comme l'a écrit Sharon Ghamari-Tabrizi : « La signification de Folamour était indéniable, mais tout le monde ne le voyait pas ».” The Worlds of Herman Kahn; The Intuitive Science of Thermonuclear War(Cambridge, 2005), 278.

[59]  Jean Offredo, “Interview avec André Beaufre et Gilles Martinet, “La guerre atomique est- elle possible?”, in Jean Offredo (dir.), Le Sens du Futur, Paris, Éditions Universitaires, 1971, p. 110.

[60]  “BLUE Episode 4: A Nuclear Family ”, Air Force TV, 20 Avril 2015.

[61]  Nina Tannenwald, The Nuclear Taboo. The United States and the Non-use of nuclear weapons since 1945, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 16 and “The legacy of the nuclear taboo in the twenty-first century,” in Michael Gordin and G. John Ikenberry (eds.), The Age of Hiroshima, Princeton (N.J.), Princeton University Press, 2020, p. 292. Pour les critiques, voir T. V. Paul, The Tradition of non-use of nuclear weapons, Stanford (Calif.), Stanford University Press, 2009; Lynn Eden, “The Contingent taboo,” Review of International Studies, 36(4), 2010, p. 831-837.

[62]  Fred Kaplan, The Bomb, p. 230.

[63]  Richard Rhodes, ‘Absolute power’, New York Times Sunday Book Review, (21 March 2014)

[64]  General John Hyten, “The Mitchell Institute Triad Conference,” U.S. Strategic Command, July 17, 2018, http://www.stratcom.mil/Media/Speeches/Article/1577239/the-mitchell-institute-triad-conference.

[65]  Joseph Masco, “Terraforming planet earth” in Casper Sylvest and Rens van Munster (eds.), The Politics of Globality since 1945: Assembling the Planet, London, Routledge, 2016 ; Matt Reynolds, “Welcome to the Anthropocene: Nuclear testing and pollution have pushed Earth into a new epoch”, Wired UK, 30 August 2016.

[66]  Benoît Pelopidas, “Renunciation, Reversal and Restraint” in Joseph Pilat and Nathan E. Busch, (eds.), Routledge Handbook of Nuclear Proliferation and Policy. London: Routledge, 2015, pp. 337-348 and “The Nuclear Straightjacket: American Extended Deterrence and Nonproliferation” in Stéfanie von Hlatky et Andreas Wenger (eds), The Future of Extended Deterrence: NATO and Beyond. Washington, D.C.: Georgetown University Press, 2015, pp. 73-106.

[67]  Lawrence S. Wittner, A Short History of the World Nuclear Disarmament Movement. Stanford University Press, 2009. Voir également la série en trois volumes The Struggle Against the Bomb (La lutte contre la bombe), qui détaille l'histoire et l'impact des politiques controversées de désarmement nucléaire dans le monde depuis 1945 : One World or None: A History of the World Nuclear Disarmament Movement Through 1953, Stanford, 1993; Resisting the Bomb: A History of the World Nuclear Disarmament Movement, 1954‑1970, Stanford, 1997; Toward Nuclear Abolition: A History of the World Nuclear Disarmament Movement, 1971‑Present, Stanford, 2003.

[68]  Jonathan Schell, The Abolition, New York: Knopf, 1984, p.163.

[69]  Zia Mian, “After the Nuclear Weapons Ban Treaty: A New Disarmament Politics,” Bulletin of the Atomic Scientists, July 7, 2017.