Travailler sur le positionnement associatif, c’est d’abord s’intéresser à des temporalités. En effet, en tant qu’éclaireuses, les ONG environnementales (ONGE) proposent publiquement des voies politiques et les défendent auprès des pouvoirs institués. Par définition, l’ONGE travaille à définir des trajectoires politiques qui seront, à défaut d’être adoptées, du moins considérées par la société. Elles travaillent donc avec un temps d’avance ; dans le champ des politiques publiques, elles s’inscrivent dans le futur, dans le devenir et dans le pas-encore. De ce point de vue, réfléchir à la décroissance énergétique depuis les ONGE revient à faire un saut dans des futurs possibles ou, a minima, à étudier des éléments structurants de l’avenir. Par « décroissance énergétique », il faut entendre à la fois la réduction quantitative de l’énergie consommée et l’opposition emblématique au mythe de la croissance économique – c’est d’ailleurs précisément l’énergie qui fait tourner le moteur de l’activité économique thermo-industrielle.
L’échec historique de la taxe carbone
La
taxe carbone : comparaison France et Royaume-Uni
Ce travail a été motivé par l’observation, dès 2018, de la fébrilité des associations face aux Gilets Jaunes se révoltant contre la taxe carbone (TC). En effet, cette taxe est largement soutenue par les associations environnementales, à condition qu’une partie des recettes soit affectée à des investissements écologiques et/ou soit redistribuée aux ménages les plus fragiles. Cette taxe est même au cœur de plaidoyers relatifs aux politiques publiques d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre : le désarroi de ces associations fut donc grand lorsqu’Emmanuel Macron décida de suspendre l’augmentation de la taxe carbone (gelée à 44€/tCO2).
Le mouvement des Gilets Jaunes peut faire écho à un important mouvement social qui a eu lieu en 2000 au Royaume-Uni contre la hausse des prix du pétrole – agriculteurs et camionneurs ont alors bloqué des raffineries de sorte qu’il y eut des pénuries alimentaires et énergétiques importantes. Les prix élevés à la pompe étaient, comme pour les Gilets Jaunes, le résultat d’une taxe croissante sur les produits pétroliers depuis 1993 (une taxe carbone avant l’heure) et d’un cours du baril élevé. La loi, elle, visait explicitement de nouvelles recettes publiques et la diminution de l’usage des voitures. En réaction aux manifestations, le gouvernement abandonna la taxe croissante et mit en place des exemptions de taxes pour les secteurs velléitaires.
Une
taxe inégalitaire
Et en effet, la taxe carbone est particulièrement inégalitaire. Pour le démontrer, nous analyserons les chiffres de la Cour des comptes (disponibles
ici). Au niveau individuel, elle est :
- Régressive : elle pèse plus lourdement sur les ménages les plus pauvres - les 10% les plus pauvres fournissent un effort 3x plus important que les 10% les plus riches.
- Liberticide : elle ne s’accompagne pas de politiques ambitieuses d’aménagement du territoire bas carbone ; or il est parfois difficile de se passer de la voiture dans un territoire où les infrastructures sont pensées à partir de celle-ci.
- Injuste: pas de distinctions entre les usages essentiels ou récréatifs. Un litre d’essence pour aller au travail en milieu rural ne peut être mis sur le même plan qu’un même litre pour aller chercher son pain à 500m en ville.
Au niveau sectoriel, l’effort est presque intégralement supporté par les transports, alors même que ce secteur ne représente que 37% des émissions. Malgré leurs importants rejets de gaz à effet de serre (GES), les secteurs de l’agriculture, de l’industrie et de sa branche énergie sont presque totalement exemptés de toute contribution fiscale sur les énergies fossiles. Le comble reste le fait que le secteur aérien, faute d’être un contributeur, est un grand bénéficiaire de la taxe carbone (sa valeur ajoutée augmente par report modal).
Entre les ménages et les entreprises, l’effort pèse largement sur les ménages qui payent en moyenne 240€tCO2 – les transports contribuent à environ 200€tCO2 et les autres secteurs se situent sous les 50€ ; voire sous les 20€ pour l’énergie et l’agriculture. Or, les entreprises devraient peut-être porter leurs efforts à des niveaux supérieurs vis-à-vis des ménages si l’on considère la primauté essentielle de la personne sur les formes de la production économique, ou si l’on prend au sérieux la séparation radicale entre la quête d’une vie bonne et celle de la croissance du PIB, ou encore en tenant compte de la différence entre les fins (une
vie authentiquement humaine[1] pour toutes et tous) et les moyens (la société et sa structuration économique). Pour toutes ces raisons, demander un effort identique aux entreprises et aux ménages est fortement discutable sur le plan moral. Bref, les entreprises doivent ainsi mener la lutte contre le dérèglement climatique en tant que première responsable d’une part et en tant qu’outillage au service des personnes d’autre part.
L’impopularité de la taxe carbone n’est pas nouvelle. Déjà en 2009, les sondages[2] observaient qu’une majorité des personnes y étaient défavorables. Cette tendance s’est consolidée avec le mouvement des Gilets Jaunes : en mars 2019, une enquête d’opinion tire un constat en inadéquation complète avec les ONGE[3].
Non seulement 77% des personnes interrogées considèrent que le gouvernement ne doit pas relancer la TC, mais 60% des répondant·e·s se déclarent opposé·e·s à version de la taxe qui affecterait l’intégralité des recettes à la transition énergétique. En conséquence, la position des ONGE semble particulièrement difficile à tenir au regard de l’état de l’opinion publique.
La
position des ONG
À la suite du mouvement des Gilets Jaunes, des ONG ont travaillé sous l’égide du Réseau Action Climat (RAC-F) pour établir un plaidoyer commun sur une contribution climat solidaire (CCS), un revenu climat et le principe pollueur-payeur en remplacement de la contribution climat énergie gouvernementale.
Celle-ci se déclinerait par l’affectation de 60% à 90% des recettes à un
revenu climat pour protéger la moitié des ménages de tout impact budgétaire négatif
[4]. 60% des ménages seront éligibles au revenu climat dans un premier temps, dont le financement serait assuré par une taxe sur les billets d’avion et des marges budgétaires. Concernant les entreprises et les ménages, les ONG proposent d’« investir massivement dans la transition écologique des ménages et des territoires
[5] » de manière décentralisée et en privilégiant la rénovation des logements et le changement de véhicule. A partir de 2021, la TC devrait augmenter de nouveau pour atteindre son objectif de taxe comportementale. De même, le revenu climat augmenterait proportionnellement et « les recettes supplémentaires viennent renforcer les dispositifs d’accompagnement des ménages et des territoires
[6] ». Dans trois ans, selon ce projet sous l’égide du RAC-F, la convergence de la fiscalité carbone effective serait terminée.
La réponse associative à l’échec politique de la TC fut ainsi la proposition d’une autre TC écologique et sociale. Tous les travaux concernant son gel (Conseil d’Analyse Économique
[7], l’OFCE
[8], l’Ademe
[9], le CPO
[10], le RAC-F
[11]) convergent vers une TC dotée de redistribution sociale et d’affectation écologique, avec néanmoins des poids différents. La moitié des ONG interrogées ne seraient donc pas contre une TC mais opposées à une TC injuste qui pénalise les ménages les plus pauvres sans affectation écologique.
La
transition écologique sans les personnes
Etant largement favorisées par la fiscalité énergétique, les grandes entreprises constituent la cible prioritaire des ONGE. Quelle est alors la place de l’individu dans la décroissance énergétique ? En réalité, Il n’y en a pas vraiment. La TC écologique et sociale, comme la régulation des entreprises, excluent les personnes des transformations sociales. La TC reste un objet qui agit insidieusement sur la vie sans laisser aux individus la possibilité d’effectuer des choix en connaissance de cause. L’élévation des prix des énergies fossiles pèsent dans le budget en se cachant derrière le prix TTC. La Cour des comptes, elle-même, l’admet volontiers : « Il est impossible [pour le consommateur], sans devoir se livrer à des calculs compliqués, de comprendre le lien entre l’augmentation de la fiscalité énergétique et la valeur de la tonne de CO2 qui fonde le tarif de la composante carbone et sur laquelle les pouvoirs publics assoient leur communication. Rien ne permet donc au consommateur de percevoir cette incitation puisqu’elle est incluse dans des accises qui ont une pure logique de rendement
[12]. »
La Cour des comptes propose alors de d’afficher sur les reçus le montant de la TC. Déjà pratiquement illisible, ajouter une ligne aux tiquets de caisse semble largement inefficace pour améliorer l’acceptation de la TC. De plus, c’est le propre de la TC que d’augmenter régulièrement et progressivement les prix finaux pour réorienter « automatiquement » la consommation. Cherchant d’autres pistes, la Cour recommande hypocritement de faire attention à la dénomination de la nouvelle taxe « dans un contexte d’aversion à tout instrument fiscal nouveau » tout en reconnaissant l’intérêt de faire la « pédagogie de la réforme », d’assurer la « stabilité et prévisibilité des dispositifs » et de mettre en place « la transparence en matière d’utilisation des recettes » « pour lever les réticences
[13] ». Comme si pédagogie, prévisibilité et transparence constituaient les conditions essentielles d’acceptation d’une taxe. Une taxe a bien davantage de chances d’être acceptée si elle est perçue comme
juste (par son assiette et par son usage) et non simplement
justifiée (par qui, pour quoi
[14] ?).
En évitant la culpabilisation individuelle, les ONGE risquent de tomber dans le travers contraire, l’exclusion individuelle par le paternalisme. Marie Toussaint, cofondatrice et ancienne présidente de NAAT « s’est toujours opposée à ce qu’on se concentre sur la responsabilisation des individus. […] Nous voyons les choses du haut ; en visant les entreprises, on veut que l'offre change et qu'on laisse tranquille la demande qui s'adaptera d'elle-même
[15]. » Cette approche postule une rupture forte entre les entreprises et les personnes qui semble infondée puisque dans le réel, les enchevêtrements entre les individus et la production économique sont indénombrables. De cette manière, les objectifs écologiques des ONGE semblent difficilement atteignables tant la sphère productive se peuple de personnes. Or, puisqu’elles ne seront pas concernées personnellement par cette transformation écologique et qu’elle dégradera leurs intérêts, leurs repères et leur confort immédiat par rapport au
statu quo, cette pensée en silo néglige la possibilité que le laissé-pour-compte freinera, voire empêchera, la dynamique de transition de celui en charge. En résumé, inclure les personnes dans la transition écologique avec une taxe carbone semble tout autant problématique que les exclure de la transition totalement.
Le rationnement impensé
L’exemple
britannique ignoré
L’intérêt de substituer à la TC un rationnement carbone est analysé précisément dans différents travaux de Mathilde Szuba. Pour résumer ici, il s’agit de rationner la quantité de GES induite par les consommations énergétiques individuelles. Le pays définit un budget carbone annuel national dont une partie revient aux personnes (environ 50%). Chacun·e reçoit alors gratuitement une même part de cette partie du budget national, son quota. Une bourse d’échanges permet aux plus économes de revendre leurs quotas restants aux plus polluant·e·s. En intégrant le secteur de l’aviation, les émissions sont proportionnelles au pouvoir d’achat et assurent donc une redistribution croissante aux plus pauvres, les plus sobres, par les plus émetteurs, les plus riches. Loin d’être un mécanisme palliant toute inégalité, il en reste néanmoins progressif. Chaque année, le budget national, et avec lui les quotas, sont révisés à la baisse pour atteindre la neutralité carbone, ce qui incite clairement à progressivement changer les comportements et les investissements. Ce dispositif n’est pas suffisant en lui-même pour atteindre la neutralité carbone mais peut s’inscrire dans un ensemble de politiques de transition écologique cohérentes et sociales. Le rationnement constitue néanmoins conceptuellement un dispositif de justice sociale en tant qu’outil d’allocation égalitaire des ressources essentielles disponibles en quantité insuffisante.
Face à la menace du changement climatique, le gouvernement britannique a sérieusement exploré la possibilité de mettre en place un rationnement carbone – c’est là le sujet de la thèse Mathilde Szuba – au cours des années 2000. Il est particulièrement dommageable que l’ensemble des connaissances accumulées sur les quotas carbone individuels n’aient pas fait l’objet d’étude et de propositions par les ONGE françaises suite au mouvement des Gilets Jaunes.
Historiquement, le R-U a mis en place des politiques de rationnement lors de chaque Guerre mondiale. Pendant la première, ce fut en 1917 conjointement avec une vaste politique d’augmentation de la production alimentaire et de réduction de la consommation. Le rationnement était considéré par les plus pauvres comme un mécanisme social primordial en temps de guerre. Certains firent grèves pour cela, mécontents de la gestion administrative de l’approvisionnement alimentaire, et une motion fut même votée par les cheminots de la région de Leicester en février 1918 : il s’agissait explicitement d’arrêter de travailler tous les samedis afin de prendre la place des femmes dans les longues files d’attente quotidiennes pour leur permettre de se reposer. Lors de la seconde, le rationnement fut planifié finement et mis en place avant le début du conflit. Il fut très largement suivi dans l’ensemble
[16] et incita les personnes à avoir davantage de relations sociales ; l’esprit de partage et de solidarité se développa. Dans chaque cas, lorsque la victoire fut remportée, le rationnement fut donc considéré comme l’un des éléments constitutifs de l’effort gagnant. En conséquence, si aujourd’hui ce pays associe ce dispositif à des périodes difficiles où le confort diminue, le rationnement est surtout perçu comme porteur de justice sociale. Il est remémoré comme un instrument de la victoire pour défendre ses libertés et sa souveraineté face à l’ennemi
[17]Le
tabou français
En France, l’histoire est tout autre. Lors de la Grande Guerre, le rationnement fut instauré tardivement et sans réel succès, faute d’organisation et d’acceptation populaire. Durant la Seconde Guerre mondiale, il ne fut mis en place qu’après la défaite par Vichy sous le joug nazi. Dès le départ, les portions étaient largement insuffisantes (il faut imaginer qu’elles n’apportaient que 1220 kcal en moyenne, soit la moitié des besoins journaliers). Cette ration famélique est le résultat de l’occupation allemande : paysans prisonniers de guerre, rupture de l’approvisionnement colonial, indemnités de défaite et prélèvements alimentaires pour le vainqueur. Si les personnes âgées et les nourrissons étaient les plus atteints de sous-nutrition, le principal facteur discriminant était la richesse car les plus riches pouvaient largement accéder au marché noir. En conséquence, le rationnement est de triste mémoire en France. Cela explique certainement en partie pourquoi les britanniques étudièrent sérieusement la question du rationnement carbone alors que la France en fait un tabou.
En général, les données rassemblées montrent que les ONGE ont une connaissance minime du Quota Carbone Individualisé (QCI) et qu’il ne fait jamais l’objet d’un positionnement politique. Après exposition du mécanisme, les ONGE de jeunesse y semblent globalement favorables, comme la plupart des ONGE majeures qui se sont exprimées sur la question lors des entretiens. Malgré leur curiosité, les ONGE ne disposent pas non plus des moyens suffisants pour explorer toutes les pistes intéressantes. Elles doivent se concentrer sur ce qui fait place dans l’agenda politique : « Globalement parce qu’on n’a pas les RH pour mettre quelqu’un sur le sujet » (Amis de la Terre) ; « lorsqu’on fait du plaidoyer, on ne défend pas toujours exactement ce qu'on voudrait mais ce qui est acceptable de demander » (RAC-F). Le rationnement n’est certainement pas quelque chose d’acceptable à demander à la majorité actuelle : les QCI semblent constituer une mesure trop éloignée de ce qui peut être défendu auprès des pouvoirs publics. Ce phénomène peut se concevoir comme une prime à l’existant, une autre conformation du principe d’inertie politique. Autrement dit, il n’est pas à l’agenda des ONGE et en l’absence d’une opportunité politique externe, à l’instar de l’initiative de quotas carbone d’aviation par les députés Delphine Batho et François Ruffin, cela ne semble pas prêt de changer.
Quelles armes avons-nous alors en France pour défendre le rationnement carbone plutôt qu’une taxe carbone ? Outre les travaux de Mathilde Szuba, nous disposons par ailleurs de la mémoire de la Commune de Paris qui est très vive dans les consciences de gauche. Avant la prise de pouvoir des communards, les pénuries alimentaires étaient vives alors que Paris est assiégé par la Prusse. Le gouvernement versaillais refusa de mettre en place le rationnement et de nombreuses ressources furent gaspillées. Paris était dotée d’une garde nationale qui, dès octobre 1870, réclama des élections, des armes pour les parisiens, et « le rationnement égal pour tous
[18] ». Lors de l’insurrection du 18 mars au 28 mai 1971, le rationnement fut ainsi organisé - mais les ressources alimentaires étaient déjà trop faibles. Ce qui semble avoir échoué à Paris, ce n’est pas le rationnement en lui-même, mais le manque de ressources et la mauvaise qualité de celles-ci.
Penser
le rationnement et les besoins
Sur l’adéquation entre la demande et l’offre, nous pouvons nous inspirer des britanniques lors de la Grande Guerre, mais aussi de la « période spéciale » de Cuba lors de l’effondrement de l’URSS. Sous l’effet du blocus américain et de la fin des ressources pétrolières et intrants agricoles soviétiques, Cuba vit sa production alimentaire décliner brutalement et mit en place un rationnement. Conjointement, pour éviter de trop graves pénuries, il fut organisé un programme de relocalisation de la production alimentaire avec un minimum d’intrants. Cela signifiait une division de la taille des fermes par 10 ; 100 000 nouveaux paysans ; une incitation à rechercher l’efficacité agro-écologique ; un système de formation décentralisée de pairs à pairs ; de la recherche publique ciblée ; la création militaire de potagers de boulevard appelé organoponicos ; la convergence d’une partie de la production alimentaire en agrocarburant (croissance de 7%/an). Le résultat se lit aussi dans les chairs : 5kg de perdu en moyenne par personne mais 30% de maladies cardio-vasculaires en moins. La société se maintint, le système de santé très développé résista, la santé s’améliora et consommation énergétique baissa drastiquement et accompagna une diminution d’un tiers des émissions de GES en quelques années.
De la même manière au sujet des GES, il faut donc impérativement que le rationnement carbone offre des quotas suffisants pour accéder aux choses indispensables (travail, alimentation, logement décent, etc.). Lorsque le rationnement s’impose dans l’histoire des pénuries, il améliore une situation où l’allocation des biens essentiels par les prix condamne injustement les plus pauvres (politique anti-malthusienne). Toutefois, le rationnement ne s’émancipe pas des limites physiques, à savoir la ration minimale nécessaire à la vie humaine. Il s’agit donc, en parallèle de la diminution des quotas de transformer l’organisation socio-spatio-temporelle pour garantir que les besoins fondamentaux soient respectés. Le rationnement carbone doit donc être pensé comme un aspect d’une vaste politique de décroissance énergétique, et elle-même comme un aspect d’une politique de décroissance.
S’il est tout à fait compréhensible que les ONG persévèrent sur la TC, elles pourraient aussi investir les QCI. Même si le sujet est plus éloigné de la table, il offre une porte de sortie à la tension orchestrée entre le social et l’écologie. Que les ONGE choisissent d’« être en prise avec le monde pour pouvoir le changer », comme l’écrit la sociologue et administratrice de l’Institut Momentum Alice Canabate, soit, mais qu’elles ne renoncent pas à « remettre la rationalité économique à une place subalterne et d’ainsi mettre fin à la domination pleine et entière de l’économique sur le politique
[19] ».
Le retour du nucléaire par la décarbonation
La
naissance d’un clivage générationnel
L’ensemble des associations nationales de jeunesse choisissent désormais de ne plus se positionner sur la question du nucléaire. Suivies par toutes les ONGE récentes (depuis 2010), ces ONGE sont sujettes au discours de la décarbonation, qui s’accommode du nucléaire et priorise la lutte contre le changement climatique. Cette évolution s’explique par la conjoncture, la complexité du sujet, la méfiance envers les ONGE majeures, la culture de lutte, l’urgence du changement climatique, la politisation environnementale des étudiant·e·s en ingénierie, le passage à l’échelle globale au détriment du local, la désinformation, la répression, l’influence de Jean-Marc Jancovici et de ses organisations, la retraite des militant·e·s historiques et la perception du danger.
De l’autre côté, les associations de protection de l’environnement historiques continuent de se positionner pour le démantèlement du parc, mais globalement de manière moins vigoureuse qu’auparavant et souvent opportune. Anne Bringault, responsable transition énergétique au RAC-F, y voit aussi une différence générationnelle : « Le nucléaire était un enjeu très présent au moment de la construction des réacteurs actuels, qui sont du coup anciens, donc ces militants-là eux-mêmes ont pris de l’âge. Comme on dit que la centrale est vieillissante, peut-on dire que cette génération-là est vieillissante ? Peut-être un peu aussi. Et du coup la nouvelle génération qui arrive n'a pas cet historique-là et en conséquence, développe une perception qui peut être différente. De plus, elle n'a pas non plus, pour beaucoup, le socle de connaissances qu'ont les anciens (sur le climat et les questions énergétiques en France). ». Charlotte Mijeon, porte-parole du Réseau Sortir du Nucléaire, pense que si l’activité de J.-M. Jancovici et ses émanations est certes importante, d’autres éléments entrent également en compte : « Les sujets qui touchent le plus les jeunes sont peu abstraits et touchent au sensible. Pour les jeunes, le climat ce n’est pas qu'un concept, ce sont les canicules et les catastrophes. Pour le nucléaire ce n'est pas pareil. À Paris, la centrale de Nogent est loin, il n'y a rien de visible, rien de sensible. S’il y a une conscience de la dangerosité du nucléaire, il manque ce rapport sensible aux choses à mon avis. »
Paradoxalement, les jeunes sont aussi généralement plus critiques du nucléaire que le reste de la population mais cela s’expliquerait, tristement, par un manque de connaissance. En effet, sensibles au dérèglement climatique, les jeunes générations sont les plus promptes à penser que le nucléaire est un grand émetteur de GES au côté des énergies fossiles. Déjà en février 2012, l’enquête de TNS Sofres – TriElec montrait que les plus jeunes (18-30 ans) de la population constituaient le groupe le plus opposé au nucléaire (47%) alors que le pourcentage moyen de la population générale est de 38%
[20]. Brouard
et al. suggèrent, eux, qu’il s’agit d’un effet de génération plutôt que d’âge car cette jeune génération se serait socialisée après les grands accidents
[21] (Three Mile Island de 1979 et Tchernobyl en 1986).
A contrario, les personnes les âgées (+76 ans) sont les moins hostiles au nucléaire (22% seulement). Datant d’avril 2019, une autre enquête BVA-ORANO permet d’identifier l’évolution du positionnement de la jeunesse vis-à-vis du nucléaire
[22]. Près d’une personne sur deux pense que le nucléaire constitue un atout pour la France (47%) alors que seulement une sur trois le voit comme un handicap. Mais surtout, si la population pense à 69% que le nucléaire contribue au réchauffement climatique, cette proportion atteint 86% chez les 18-24 ans. Comme le dit le rapport d’enquête, « Le fait que le nucléaire émette peu de CO2 est peu connu des Français », il est même très méconnu de la jeunesse.
Dans le processus d’engagement au sein des associations, il est assez logique que les personnes deviennent ainsi de moins en moins antinucléaires conjointement avec une formation croissante aux enjeux climat-énergie. Malgré ces sondages, la nouvelle génération militante écologiste n’est, elle, que très peu critique du nucléaire et le considère au mieux comme un sujet annexe. Cela signifie que les luttes écologistes seront menées dans les années à venir par des activistes largement indifférent·e·s au nucléaire.
L’irruption
de la décarbonation nucléaire
Cette évolution ne peut être expliquée que par des motifs externes au nucléaire puisque celui-ci est resté globalement constant. Il y a bien des forces à l’œuvre pour défendre une industrie française dont le pays est très fier. Le mouvement antinucléaire français était très fort lors de la construction du parc, jusque dans les années 1980, avant de s’écraser sous la répression (manifestation contre SuperPhoenix en Isère en 1977 : un mort, une main et un pied arraché, des grenades lancées par hélicoptère) et le fait accompli. Après cela, la lutte devient alors plus locale et moins intense. Puis un virage s’effectue autour des années 2010. Alors que le monde est pris d’effroi avec la catastrophe de Fukushima, qu’une mobilisation antinucléaire en France est organisée et suivie, l’opinion semble se retourner paradoxalement en faveur du nucléaire. La droite et l’industrie transforment les termes du débat ; autrefois liés aux risques et aux scénarios de sortie du nucléaire, la discussion s’oriente davantage vers « les risques associés à la sortie du nucléaire en termes industriels (destruction d’emploi, perte de savoir-faire)
[23] », les risques d’augmentation des prix de l’électricité et de gâchis de l’argent public lié à l’arrêt des projets. À cela, il faut ajouter l’« indépendance énergétique, faible coût de l’électricité, absence d’émissions de CO2, filière industrielle de pointe source de nombreux emplois et d’exportations, etc. » précisent Brouard
et al. Ce virage a été défavorable à l’opposition au nucléaire. Par ailleurs, de nouveaux
thinktanks influents renouvellent le discours pronucléaire - notamment le Shift Project.
Lors des entretiens, le Shift Project et son président Jean-Marc Jancovici sont très souvent cités. Créé en 2011 par l’ingénieur J.-M. Jancovici, il s’agit d’une organisation hybride « prenant le meilleur » des organisations professionnelles, scientifiques et écologistes afin de « de proposer des vues globales et constructives dans la progression vers une économie post-carbone, et qui ne supposent pas de changer préalablement la nature humaine pour pouvoir s’appliquer
[24] ». On retrouve là un discours ingénieurial et gestionnaire qui se revendique pragmatique pour réaliser la décarbonation de l’économie française. La décarbonation est entendue ici comme un processus technique de transformation du système énergétique pour limiter le réchauffement climatique tout en préservant les structures économiques existantes.
Autrement dit, la décarbonation est un discours par et pour les institutions en place, qui ne remet pas en cause les racines des maux écologiques, mais qui interroge seulement les paramètres relatifs aux émissions de GES. Cela permet au Shift Project d’obtenir des moyens substantiels à travers le financement de grandes entreprises du CAC40 comme la BNP, EDF, Bouygues, Vinci ou Veolia. En cela, il s’inscrit en opposition aux ONGE majeures qui accompagnent leurs actions environnementales d’une critique plus ou moins affirmée du capitalisme néolibéral et des structures sociales hiérarchiques de domination. Par ailleurs, contrairement au discours de la décarbonation, ces ONGE héritent, dans une certaine mesure, de la critique de la technique intimement liée à la fondation de l’écologie politique française (comme Ivan Illich, Jacques Ellul et André Gorz). Par ailleurs, le Shift a pour stratégie de cibler les corps intermédiaires, en évitant la population et ses représentant·e·s directs qui en répondent. Cette inclination antidémocratique est masquée derrière un discours d’efficacité face à l’urgence. Le pari est alors de se concentrer sur le personnel permanent en position de conseil, d’influence et disposant de marges de manœuvre pour appliquer les consignes politiques. D’une certaine manière, on retrouve, comme chez les ONGE, l’absence de considération pour le corps social et une fuite en avant technocratique.
Pour la décarbonation, le nucléaire est une énergie de choix. Non seulement il est bas carbone et défendu comme tel pour lutter contre le changement climatique, mais cette technologie aurait un impact positif sur la biodiversité selon un raisonnement comparatif par coût d’opportunité. En effet, les terres subissent une pression croissante par des usages rivaux (alimentaire, urbanisme, industriel, énergétique, construction, puit de carbone, préservation de la biodiversité, etc.) et le nucléaire offre une emprise au sol minimale rapportée à l’énergie produite
[25]. J.-M. Jancovici précise régulièrement qu’une centrale nucléaire a une emprise en sol inférieure d’au moins 500 fois à celle des panneaux solaires et nécessite une quantité de matière inférieure jusqu’à 100 fois celle des éoliennes à production équivalente. Contrairement au discours américain écomoderniste qui voit en la technologie le moyen de résoudre tous les défis écologiques, le discours dominant en France (Shift Project) admet que l’hypothèse de découplage absolu entre les émissions de GES et la croissance économique est très peu probable. Toutefois, il défend le nucléaire comme un moyen efficace (du point de vue énergétique et économique) de maintenir un certain niveau de richesse
[26]La
décarbonation, une stratégie gagnante chez les ONGE de jeunesse
Les ONGE de jeunesse sont particulièrement réceptives au discours de la décarbonation du Shift Project et de J.-M. Jancovici, comme en témoignent les propos tenus en entretien par la Présidente des Jeunes Ambassadeurs pour le Climat, Esther Loiseleur : « Je suis rentrée au Shift par le rapport sur l'éducation à l'énergie-climat. C'était un très bon travail donc je suis davantage prête à écouter ce qu'ils font sur le reste. Pareil pour le rapport sur la sobriété numérique que nous avons beaucoup utilisé ». Les ONGE de jeunesse évoluent en bon termes avec Avenir Climatique qui porte un discours proche du Shift Project et certaines sont même fortement accompagnées par le Shift comme Le Manifeste pour un Réveil Ecologique. Cette entente n’est pas surprenante étant donné que le Manifeste dispose de trois caractéristiques remarquables pour le Shift Project. La première est sa propriété d’élite : le Manifeste est porté en majorité par des étudiant·e·s, provenant des écoles les plus prestigieuses de France, destiné·e·s à avoir des positions de pouvoir. La seconde est la propriété d’influence : le collectif dispose d’une très grande base de données à travers les signataires du manifeste (plus de 30 000 signatures). La troisième est l’importance primordiale donnée au dialogue avec les directions, en particulier celles des grandes entreprises. L’un des principaux axes de travail du Manifeste consiste en effet à rencontrer des dirigeant·e·s d’entreprises pour les informer du risque de recrutement (de l’élite étudiante) dans le cas où l’entreprise ne serait pas à la hauteur sur les enjeux environnementaux. Au moins pour ces trois raisons, le Shift Project peut donc s’appuyer sur le Manifeste pour diffuser avec efficacité les idées qu’il porte.
Ainsi, la décarbonation peut être séduisante pour de nombreux publics. Elle est à la fois compatible avec le paradigme économique dominant en tant que transition pragmatique des systèmes énergétiques, et ne porte pas atteinte aux intérêts de l’industrie électronucléaire. Elle porte simultanément un discours suffisamment alarmiste pour s’adapter aux proches de la collapsologie et aux écologistes en général. Elle effectue enfin une critique de l’existant, et notamment des choix institutionnels, suffisamment acerbes pour intéresser une jeunesse hostile aux décisions politiques conservatrices et incompatibles avec les limites planétaires. Par son aide auprès des organisations de écologistes de jeunesse, le Shift Project réalise un important investissement dans le présent et l’avenir car il convainc une génération engagée qui le lui rend bien : « Entre 2018 et 2019, le « Shift », qui a dix ans d’existence, a vu la fréquentation de son site augmenter de 92% et le nombre de ses abonnés grandir de 106% sur Twitter, de 166% sur Youtube, et de 256% sur Linkedin. Les inscriptions quotidiennes sur leur formulaire ont été multipliées par 11 entre avril 2018 et février 2020. Quant au formulaire de leur association de bénévoles, les Shifters, il a vu son nombre d’inscrits journaliers être multiplié par 33 depuis 2016, avec un premier palier franchi en septembre 2018, et un second, bien plus fort, franchi en septembre 2019
[27]. » Mais ce n’est pas tout. J.-M. Jancovici bénéficie de près 200 000 abonnements sur
Linkedin, ses conférences peuvent atteindre près d’un million de vues sur
Youtube, un groupe
Facebook de plus de 20 000 personnes travaillent à créer des
memes, ces montages visuels humoristiques faisant référence à des motifs culturels, à l’effigie de J.-M. Jancovici. Une fois réalisée, ces montages répondent aux codes de la diffusion virale sur la toile. Sur le mode du divertissement, ces
memes font passer les idées et le personnage comme sympathiques : une sorte de
soft power des
millenials.
Les
braises fument toujours
Néanmoins de nombreux débats agitent ces associations de jeunesse qui sont tiraillées entre la culture antinucléaire de l’écologie politique française soutenue par les grandes ONGE (RAC-F, GP-F, WWF-F, ADT-F) et l’argumentaire de la décarbonation de l’énergie face à l’urgence climatique, portée notamment par le Shift Project. Elles n’embrassent pas le discours de la décarbonation mais tentent d’en déterminer un autre, cohérent et fondé, au milieu d’un torrent d’injonctions contradictoires.
Si ces associations sont neutres au sujet du nucléaire, c’est qu’elles ne réussissent pas à trouver un consensus en interne sur la question. Pour de jeunes organisations, la question est trop clivante pour s’y risquer sans menacer son objet principal, qui est bien souvent l’écologie et le changement climatique. Il y a donc de forts débats internes. Les entretiens permettent de voir que des responsables associatifs peuvent être viscéralement contre sans que leur organisation ne se soit positionnée dessus. D’autres adoptent un scepticisme généralisé en matière énergétique. Ainsi, Esther Loiseleur, présidente des Jeunes Ambassadeurs pour le Climat, renvoie dos à dos les productions énergétiques décarbonées : « quand on prend la question du nucléaire vis-à-vis du climat, clairement on voit plus les pour que les contre que lorsqu'on s'intéresse au nucléaire uniquement. On est plus dans une attitude de questionnement en tant que jeune non spécialiste de l'énergie. On n’est pas non plus pour les ENR [énergies nouvelles renouvelables]. Guillaume Pitron est une lecture commune dans l'association [Auteur de La guerre des métaux rares - La face cachée de la transition énergétique et numérique, Ed. LLL]. Pour les gens non formés entièrement, il y a une sorte de scepticisme généralisé avec pour conclusion générale la nécessité de sobriété. Moi plus ça va, plus j'ai des doutes sur notre capacité à faire la transition énergétique, notamment après des lectures de J.-B. Fressoz. »
Par ailleurs, une nouvelle organisation antinucléaire a vu le jour récemment ; dénommée RadiAction, elle se veut être le pendant français d’Ende Gelende. De la même manière, la lutte à Bure contre le projet d’enfouissement de déchets nucléaire est vive et le discours anticapitaliste antinucléaire continue d’être porté sur les ZAD et dispose de relais urbains. Enfin, la pensée critique de la technique, comme la convivialité d’Illich, permet de perpétuer une opposition théorique au nucléaire. Autre atout de la lutte contre le nucléaire, le seul scénario énergétique émanant du monde associatif environnemental, celui de NégaWatt, utilisé par toutes les ONGE, est d’abord antinucléaire. Il prévoit une sortie rapide du nucléaire (2035) et la neutralité carbone en 2050. En l’absence d’alternative, il a donc un effet performatif dans le monde associatif qui s’appuie sur le scénario prioritairement pour des raisons climatiques.
Enfin, un nouveau joker peut se trouver du côté de la perspective de l’effondrement. Julie Pasquet, présidente de Together for Earth, soupçonne que « la plupart des jeunes engagé·e·s connaissent Servigne et le concept de collapsologie ». Charles de Lacombes, membre de l’équipe d’animation d’A-ANV, considère que c’est « surtout quelque chose qui nourrit notre organisation. Comme moi, de nombreuses personnes ont eu leur réveil écologique avec les collapsologues ». Or, comme le rappelle souvent Yves Cochet, ajouter à l’effondrement systémique global, des catastrophes nucléaires en série faute de maintenance par exemple, dépasse largement l’imagination humaine. Nous sommes là dans le domaine du supraliminaire andersien, une « apocalypse sans royaume » où le néant succède au chaos. Envisager l’effondrement permet donc de prioriser à nouveau la question nucléaire, qu’elle soit militaire ou civile, afin de limiter le nombre de réacteurs et de bombes au moment d’un effondrement possible. Selon Loïs Mallet, c’est cette carte, celle du catastrophisme, qui doit être jouée dorénavant, et pas seulement pour le nucléaire, car elle a le potentiel de mobiliser radicalement de nombreuses personnes – à l’instar de ce que fait Extinction Rebellion (XR). Toutefois, cela ne va pas sans une certaine responsabilité et une éthique du soin tant ce discours peut faire violence à ses destinataires.
Néanmoins, cela n'est pas facile. Renouveler l’opposition au nucléaire avec une perspective effondriste nécessite que les ONGE remettent en cause une partie de leur stratégie intriquée au paradigme de la transition écologique. Charlotte Mijeon du Réseau Sortir du Nucléaire l’énonce en ces termes : « C'est vrai que pour nous, c'est un paradigme complètement différent. On cherche à montrer que la transition énergétique, ça marche, qu'on peut faire sans le nucléaire et aller vers un futur désirable. Ce discours émergent est de dire, non il faut acter le désespoir et partir de ce désespoir pour agir. C'est vraiment aussi quelque chose de générationnel. Je pense que nous, on a déjà suffisamment à faire, pour vaincre des préjugés sur le fait que la sortie du nucléaire est possible. De ce point de vue, cette approche est difficile à intégrer. ». En plus de modifier une partie des missions, cela déstabiliserait des ONGE qui se doivent de maintenir une certaine proximité avec la société afin de garder prise sur elle et ainsi de pouvoir la changer. Par ailleurs, cela remettrait en cause de nombreux financements essentiels à son équilibre budgétaire.
Le constat est donc triple : la pensée effondriste imprègne tous les esprits écologistes ; les ONGE n’orientent pas leurs activités en conséquence ; la perspective de l’effondrement a le potentiel de radicalement modifier les positionnements associatifs.
Conclusion
Il semble clair que le monde les ONGE font fausses routes sur la taxe carbone. Quand bien même la proposition écologique et sociale serait satisfaisante et que l’Etat soit sur le coup, la mesure semble désormais rejetée en bloc par la population. A la place, les quotas carbone peuvent être une proposition intéressante sous certaines conditions (démocratie et transformation des besoins via la culture et les infrastructures). Le nouveau discours dominant sur la décarbonation cache une promotion du nucléaire qui lui est parfaitement compatible. La perspective de l’effondrement, partagée dans les esprits du monde associatif, peut renouveler l’argumentaire antinucléaire. D’ailleurs, celle-ci favorise aussi largement le rationnement carbone, surtout si cela se combine avec une vision conviviale biorégionale.
Pour aller plus loin, voir le mémoire référent disponible
ici.
Synthèse du séminaire rédigée par Anne Rumin.
Crédit : Le Désert rouge, Michelangelo Antonioni
Références
[1] Au sens de Hans Jonas, voir : Jonas, Hans.
Le principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique / Hans Jonas ; traduit de l’allemand par Jean Greisch. Paris : Flammarion, 2008.
[4] Alternatiba, Bizi !, FNH, et al.
Fiscalité Energie & Carbone : Pas de transition écologique sans justice sociale. 2019. En ligne :
media/articles/presentation.pdf [consulté le 10 juin 2020].
[7] Bureau, Dominique, Fanny Henriet, et Katheline Schubert. « Pour le climat : une taxe juste, pas juste une taxe »,
Notes du conseil danalyse economique. 11 avril 2019, n° 50 n
o 2. p. 1‑12.
[8] Berry, Audrey et Éloi Laurent,
op. cit.
[9] Callonnec, Gaël, Hervé Gouëdard, et Patrick Jolivet. « La contribution climat-solidarité : une taxe carbone pour la transition écologique et pour plus de solidarité fiscale ». Mars 2019.
[10] « le CPO propose donc la reprise d’une trajectoire d’augmentation de la taxe carbone, tant cet outil paraît conditionner l’atteinte des objectifs environnementaux » alors même que « la France a déjà pris du retard sur les objectifs fixés par la loi de 2015 et le rythme actuel de réduction des émissions est près de deux fois trop faible au regard des cibles retenues ». « la France a suspendu le principal outil qu’elle avait retenu en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, outre le marché européen de quotas d’émissions ». Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO),
La fiscalité environnementale au défi de l’urgence climatique. 2019. En ligne :
https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-fiscalite-environnementale-au-defi-de-lurgence-climatique [consulté le 30 août 2020].
[11] Alternatiba, Bizi !, FNH, et al.
Fiscalité Energie & Carbone : Pas de transition écologique sans justice sociale,
op. cit.
[12] Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO),
op. cit., p. 167.
[16] Trois leviers d’acceptation du rationnement en Grande Bretagne lors de la Seconde Guerre mondiale :
- La participation à l’effort de guerre en période d’« extrodinary wartime necessities» (besoins extraordinaires en temps de guerre) ;
- L’exceptionnalité de l’effort qui est temporaire ;
- La promesse du « New World after the war » (Nouveau Monde après la guerre).
[18] Le 4 octobre 1870, une partie de la garde nationale dirigée par Flourens encercla l’Hôtel-de-Ville pour obtenir quatre éléments :
- « l’armement immédiat, avec des chassepots, des volontaires de la garde nationale ;
- l’envoi en province de commissaires républicains munis de pleins pouvoirs ;
- les élections municipales ;
- le rationnement égal pour tous. » Le Verdier, Henri. Paris, assiégé : la chute de l’Empire, le gouvernement de la défense, les prussiens, Ferrières, apparition de la Commune, capitulation de Metz, affaire du Bourget, ballons, théâtres, ambulances, bataille de Champigny, bombardement, rationnement, la faim ! Paris : Dincan, 1871, p. 41. En ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6497565w [consulté le 16 avril 2020].
[19] Canabate, Alice. « Entre hétéronomie et autonomie : réflexions sur l’imaginaire instituant et sur les pratiques de l’écologie politique associative » in Sophie Klimis et Philippe Caumières (eds.).
L’autonomie en pratique(s). Bruxelles : Presses de l’Université Saint-Louis, 2019, p. 75‑103. En ligne :
http://books.openedition.org/pusl/2505 [consulté le 16 mai 2020].