Cette tribune a été publiée dans Reporterre le 21 octobre 2022.
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Lille a fermé sa serre botanique, pour une question de sobriété. Une aberration, selon l’auteur de cette tribune, qui plaide pour d’autres mesures plus efficaces, comme l’abandon de l’agrandissement de l’aéroport.
Le 9 octobre 2022, la Ville de Lille a fermé les portes de la grande serre du Jardin des plantes de Lille. Cette fermeture, prétendument rendue nécessaire par l’impératif de sobriété, est présentée comme définitive. En réaction, le collectif Sauvons la serre a lancé une pétition pour s’opposer à toute fermeture définitive, demander des mesures d’urgence qui feraient faire à la serre sa juste part de l’effort de sobriété cet hiver, et proposer l’étude d’un projet de rénovation ambitieuse pour ce lieu potentiellement emblématique de la transition écologique dans la métropole et la région.
Pour l’heure, ces demandes ont été rejetées. Face à une contestation croissante, la mairie a préféré accélérer le démantèlement et le « déplacement » de la collection, impliquant concrètement la mutilation ou le sacrifice de spécimens remarquables, comme la Monstera [1], dont les jardiniers disent que celle de Lille est la plus grande de France.
La Ville de Lille est ainsi en passe d’entrer dans l’Histoire comme la première ville française à fermer définitivement un équipement culturel au nom de la sobriété. Et de quelle manière ! Absence de concertation, aucun vote en conseil municipal ; invectives adressées aux mécontents réclamant un groupe de travail ; argumentaire invoquant des études prétendument sans appel, mais non communiquées et dont l’existence même est mise en doute…
Tout cela pour finalement choisir comme seul équipement à sacrifier l’un des seuls qui soient consacrés à l’émerveillement naturaliste et à la découverte de la biodiversité. Pour éparpiller façon puzzle, dans un simulacre de dispositif participatif grotesquement baptisé « adopte une plante », la ressource publique que constituent ensemble cette serre et la collection botanique qu’elle abrite. À Lille, la sobriété a bon dos…
L’égalité d’accès à la biodiversité est sacrifiée
Car finalement, qu’est-ce qu’une serre ? Est-ce vraiment une gabegie énergétique, un luxe désormais incompatible avec la nouvelle donne géopolitique et climatique ? Dans son récent texte de soutien au collectif Sauvons la serre, la Société botanique de France prend le contre-pied de ces clichés : « Fermer des serres, c’est priver les générations futures, gestionnaires après nous de nos sociétés et de la nature, d’une acculturation à la biodiversité et aux écosystèmes du monde entier, déjà bien mis à mal par les changements globaux. » Un argument qui pourrait compter dans une ville telle que Lille, notoirement mal dotée en espaces verts (seulement 15 m² par habitant, quand la moyenne pour les villes françaises est de 51 m² par habitant).Car la serre de Lille est un microcosme de nature extraordinaire à portée de marche et de métro, dont l’entrée est gratuite, et visité chaque année par des centaines de scolaires. Les enfants des familles les plus aisées ne seront pas les plus impactés par sa fermeture : beaucoup prendront l’avion avec leurs parents pour aller admirer la nature exotique « sur place », en mieux, en vrai.
Et tant pis si la catastrophe climatique en cours devrait nous conduire à réduire nos trajets aériens. Et tant pis si les enfants des familles moins favorisées n’ont pas accès à de tels voyages. Une sobriété par le petit bout de la lorgnette peut donner l’impression qu’il est préférable de fermer une serre, plutôt que d’intégrer sa rénovation dans un projet pédagogique ambitieux conçu en cohérence avec la nécessaire réduction de la mobilité.
Demain, va-t-on fermer les musées et les écoles ?
Et cette sobriété par le petit bout de la lorgnette est bien le problème, depuis que les pouvoirs publics ont enfin admis, lamentablement tardivement, la nécessité de la sobriété. Longtemps marqueur d’une écologie exigeante, voire radicale, ce mot « sobriété » est devenu la cible d’une intense opération d’institutionnalisation, voire de récupération.Mais il ne suffit pas de sauter sur sa chaise comme un cabri en répétant « sobriété » pour conduire une politique de sobriété écologiquement cohérente et socialement juste. L’enjeu central est — ou pourrait être, ou devrait être — de produire les conditions d’une réflexion démocratique, d’une part, sur la répartition équitable des efforts de sobriété, et, d’autre part, sur l’identification des cibles prioritaires en matière de sobriété.
Or, c’est ici que le cas lillois pourrait constituer un précédent fâcheux. Pour la Ville de Lille, la serre n’est pas une pépite de nature extraordinaire en ville : elle est une « passoire énergétique » représentant 1,4 % de sa consommation énergétique. Mais ce chiffre, soupçonné d’être artificiellement grossi par un périmètre de calcul opaque, d’une part, ne dit rien de ce que serait la consommation après rénovation du bâtiment, et, d’autre part, témoigne d’une conception rabougrie du périmètre dans lequel penser la sobriété collective.
Car à jouer ce jeu-là, est-ce la seule passoire énergétique potentiellement en ligne de mire dans le parc immobilier lillois ? Va-t-on fermer aussi le Palais des beaux-arts en 2024, quand il faudra à nouveau réduire de 10 % les consommations énergétiques ? Les écoles, en 2026 ? Les mairies de quartier ? Car après tout, l’Union européenne est en train de revoir à la hausse nos objectifs de réduction des consommations d’énergie, pour viser 40 % de réduction d’ici 2030 : donc il faudra bien trouver quelque chose à fermer…
Pendant qu’on ferme la serre, on agrandit l’aéroport
Sauf, bien sûr, si l’on questionne enfin la pertinence de ce périmètre d’action. Si l’on s’accorde sur le fait qu’il est absurde de demander plus aux équipements publics qu’aux jets privés — les premiers contribuant au bien commun, quand les seconds pourraient être regardés comme un privilège énergétique méritant d’être aboli.À Lille, pendant que l’on ferme une serre à vocation pédagogique et scientifique, le projet d’extension de l’aéroport de Lille-Lesquin est maintenu. Et dans les environs, il existe pleins d’hectares de serres à tomates chauffées pour une production hors-saison. La Ville de Lille dira que ces deux exemples ne relèvent pas de ses compétences : certes, mais une approche écologiquement cohérente et socialement juste de la sobriété ne vaudrait-elle pas justement créer un espace politique où mettre en balance ces différents usages ?
Une pétition a été lancée par le collectif Les Amis du Jardin des plantes de Lille
À l’heure où les contraintes énergétiques et climatiques se font plus pressantes, la priorisation des mesures de sobriété devient un enjeu majeur : que faut-il fermer ? Que faut-il garder ? À Lille, sans débat ni concertation, la Mairie vient d’annoncer la fermeture définitive d’un seul équipement : la grande serre du Jardin des plantes, un endroit magique consacré à l’éveil naturaliste et à la découverte de la biodiversité. Parce que cette sobriété à géométrie variable est inacceptable, parce que la sobriété ne doit pas être mise en œuvre sans concertation ni horizon, le collectif « Sauvons la serre » s’est formé autour d’une pétition demandant à la Mairie :
1) que la serre ne soit pas définitivement fermée, compte tenu de son rôle irremplaçable comme équipement culturel, scientifique, social et pédagogique ;
2) que des mesures transitoires et réversibles soient prises pour que la serre fasse sa juste part des efforts de sobriété pour cet hiver (baisse du chauffage, voiles d’hivernage, déplacement des seules plantes les plus vulnérables au froid) ;
3) que ce sursis soit mis à profit pour mener une étude transparente des possibilités d’adaptation de cette serre aux enjeux écologiques, énergétiques et climatiques du 21ème siècle (évolution de la collection botanique, travaux d’isolation et de rénovation du bâtiment, voire évolution vers une serre à énergie positive grâce à la géothermie ou à des vitrages photovoltaïques). Si vous pensez que la sobriété est nécessaire mais ne doit pas être prétexte à imposer n’importe quoi sans concertation, n'hésitez pas à signer et à faire circuler la pétition.
Pour en savoir plus sur ce formidable spécimen d’architecture brutaliste qu’est la serre du Jardin des plantes de Lille – un bâtiment unique au monde :
https://lesamisdujardindesplantesdelille.blogspot.com/