Avec le soutien du Forum Vies Mobiles, l'Institut Momentum a élaboré un scénario visant à imaginer une Ile-de-France sans voitures à l'horizon 2050. Dans cette vision inédite développée dans une étude de 240 pages que nous publions aujourd'hui, nous utilisons la biorégion d’abord comme un instrument interprétatif pour affronter la dégradation actuelle de nos urbanisations diffuses caractérisées par d’immenses empreintes écologiques et par une dissolution du concept de ville dans des structures fortement dissipatives qui entraînent des consommations énergétiques croissantes.
Si le territoire de la métropole est l’aire d’un déploiement d’entropie, la grille biorégionale apparaît comme le remède à cette dilution spatiale et énergétique. Dans la présente étude, nous projetons que l’actuelle trajectoire de métropolisation de l’Ile-de-France sera interrompue et modifiée par les conditions extérieures, qui ne seront pas égales par ailleurs. En raison de l’érosion des puits matures, les prix du baril de pétrole seront soumis à des variations erratiques. Les chaînes de la mondialisation s’en ressentiront, de même que les systèmes énergétiques. L’approvisionnement alimentaire de la région pourra être mis à mal par l’évolution des conditions climatiques.Et surtout, la dégradation de l’énergie nette qui sous-tend les systèmes complexes rendra de plus en plus coûteux l’entretien de la complexité des réseaux et des flux qui alimentent la région francilienne 24 heures sur 24. Ainsi devons-nous visualiser les biorégions comme le résultat de l’atomisation de l’Ile-de-France. Ces biorégions résulteront de la simplification accélérée des systèmes alimentaires industriels dans un avenir proche, en raison de l’interruption des chaînes d’approvisionnement et des effets du changement climatique.
Aujourd’hui, l’Ile-de-France est sortie de son bassin de subsistance, et ne produit plus que 10 % de ce qu’elle consomme. Dès lors que celle-ci ne pourra plus soutenir son évolution de croissance actuelle, elle se disloquera en entités multiples et de plus petite taille, qui devront davantage compter sur leurs propres ressources. Cette étude se propose d’anticiper ce phénomène de dislocation. L’imminence de perturbations systémiques nous oblige à construire des petits systèmes résilients dans l’urgence, face au problème d’échelle induit par les métropoles.
Le territoire sera repensé et organisé autour d’un impératif vital : la coévolution entre les établissements humains et le milieu ambiant. Et cette coévolution ne reviendra pas à une hybridation, mais à une culture de la coexistence équilibrée entre les humains, les animaux, les cours d’eau, les sols, les forêts et l’atmosphère. Le territoire sera vu et vécu non pas comme un simple support, mais comme un organisme vivant. Une grande partie des métiers biorégionaux, soutenus par un revenu d’existence biorégional, vont consister à restaurer le territoire enfoui sous le bitume, à réparer l’éco-catastrophe causée par la croissance illimitée. La libération des espaces occupés par l’automobile va entraîner un basculement vers la reterritorialisation. Les métiers du contact physique avec le sol et les éléments seront valorisés alors que la numérisation des villes se sera dégradée puis interrompue en raison de l’intermittence des réseaux électriques et de l’impossibilité de continuer à entretenir des infrastructures hautement complexes.
Les civilisations biorégionales auront également à choisir entre des priorités vitales : soit maintenir leur capacité de sustentation, soit vouer l’énergie à faire tourner des systèmes numériques très consommateurs mais qui se révéleront inutiles pour la survie humaine. La Terre ne sera plus traitée comme un simple support d’activité économique mais comme une dimension de notre survie civilisée. Les métiers de la reconstruction des lieux seront le coeur de l’économie biorégionale.