Aujourd’hui, l’expansion sans limite de la mégapole francilienne a été rendue possible grâce à un approvisionnement continu et d’origine lointaine de toutes les sources de sustentation (alimentation, énergie, etc.) et à la tertiarisation de l’emploi qui permet une plus grande concentration des personnes pour produire de la richesse. L’Île-de-France est sortie de son bassin de subsistance et ne produit plus que 10 % de ce qu’elle consomme. En 2050, les moyens de transport et la quantité d’énergie disponibles seront radicalement différents et ces changements conduiront à une transformation profonde de l’aménagement des territoires et de la vie qui pourra s’y développer, selon le scénario Biorégion Ile-de-France 2050 développé par l'Institut Momentum avec le soutien du Forum Vies Mobiles, think tank de la Sncf.
L’imminence de perturbations systémiques obligera l’Île-de- France à renoncer à l’efficacité actuelle de son fonctionnement basé sur de grands réseaux d’approvisionnement mondialisés et sur la spécialisation fonctionnelle d’espaces organisés autour d’un seul centre fortement urbanisé. En effet, cette efficacité rend le territoire régional extrêmement vulnérable. Ce sera la fin de la mégalopole parisienne, trop grande, trop dense et extrêmement fragile face aux crises.
Elle se disloquera en entités plus petites qui devront compter sur leurs propres ressources. Les activités sociales et productives seront réorganisées à de plus petites échelles. Ce changement d’échelle d’organisation du territoire régional lui permettra de mieux résister aux situations d’urgence et aux crises.
Sa résilience sera confortée par la redondance croissante de ses équipements et de ses réseaux. […] La consommation électrique annuelle des transports franciliens (2,3 TWh - TeraWattheure) représente, à elle seule, environ les deux tiers de toute l’électricité produite dans la région (3,6 TWh en 2015). Les trains, RER et métro transportent plus de sept millions de personnes et 30 000 tonnes de marchandises par jour en Île-de-France. C’est à la fois très important, et bien moindre que le transport routier, basé sur le pétrole. En Île-de- France, malgré un réseau ferroviaire plus développé que dans le reste du pays, les produits pétroliers et les agrocarburants représentent 96 % de la consommation énergétique des transports. Et la quasi-totalité des 16 000 tep (tonnes équivalent pétrole) consommées chaque jour (115 000 baril/jour) passe par l’unique pipeline d’Île-de-France. En raison de sa dépendance quasi totale aux produits pétroliers et d’une forte hausse du besoin de mobilité, le secteur des transports pourrait représenter le premier risque à court terme pour les sociétés modernes en général et pour l’Île-de-France en particulier.
[…] En 2050, la production énergétique ne sera plus fonction de la demande. La situation sera inversée, notamment en raison du caractère variable des énergies renouvelables et de l’insuffisance des capacités de stockage pour disposer d’un approvisionnement énergétique constant, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, dans n’importe quelle saison. Tel le meunier qui gérait un moulin à vent et qui devait travailler de manière quasiment ininterrompue tant que le vent soufflait, ou le transport à voile qui se faisait de préférence en fonction des courants saisonniers favorables, etc.
L’Île-de-France sera découpée en plusieurs biorégions. Celles-ci résulteront de la simplification des systèmes alimentaires industriels qui va s’accélérer dans un avenir proche, en raison de l’interruption des chaînes d’approvisionnement extrarégionales et des effets du changement climatique. La localisation des Franciliens en sera bouleversée. Alors que les territoires ruraux de la région accueilleront 700 000 habitants supplémentaires, Paris et l’immense zone urbanisée qui l’entoure verront leur population divisée par deux. On assistera à un exode urbain massif.
Une biorégion est un territoire dont les limites ne sont pas définies par des frontières politiques, mais par des limites géographiques. Cette vision conçoit les habitants d’un territoire, leurs activités et les écosystèmes naturels comme une seule unité organique au sein de laquelle chaque site, chaque ressource, de la forêt à la ville, des plateaux aux vallées, est développé de manière raisonnable en s’appuyant sur les atouts naturels du territoire. C’est une façon de penser l’espace urbain et l’activité humaine en relation intime avec son territoire. Le scénario Biorégions 2050 fait référence à diverses conceptions de la biorégion développées aux Etats-Unis et en Italie : celle initiée par Lewis Mumford basée sur une relation organique entre les habitants et leurs espaces de vie, celle des pionniers californiens naturalistes qui vise l’autosuffisance des territoires en perturbant le moins possible leur écosystème local ainsi que la vision post-urbaine de l’Italien Alberto Magnaghi qui considère le territoire local comme un bien commun, à la fois biologique et social, sur lequel doivent se focaliser les politiques publiques.