Séminaire

Biorégion Île-de-France en 2050 : le scénario de l’Institut Momentum

24 novembre 2017

Séminaire du 24 novembre 2017 














Ruptures et continuités en Île-de-France à l’horizon 2050


Au cours de la trentaine d’années qui nous séparent de la moitié du présent siècle, nous estimons que les dérèglements écologiques considérables et inéluctables qui nous attendent constitueront la cause principale des évolutions du monde – et de l’Île-de-France – dans tous les domaines. Ce n’est plus l’économique qui est déterminant en dernière instance, c’est l’écologique qui devient facteur explicatif premier des phénomènes. Un bouleversement de cette ampleur, aussi rapide, est inédit dans l’histoire évolutive de l’humanité, inadaptée à de telles ruptures. Les signes avant-coureurs en sont pourtant perceptibles depuis les débuts de la révolution thermo-industrielle il y a deux siècles et plus encore depuis la fin de la seconde guerre mondiale. « Anthropocène » est le mot retenu par les scientifiques qui considèrent que ce bouleversement systémique est d’origine humaine. Après l’Holocène, époque interglaciaire engagée il y a 11 700 ans, s’ouvre ainsi une nouvelle époque géologique au cours de laquelle les impacts des activités humaines deviennent les principales forces biogéochimiques du système-Terre, plus que les grands cycles naturels de l’eau, du carbone, de l’oxygène, de l’azote, du phosphore, du soufre et des métaux. Et « Grande Accélération » désigne la période dans laquelle nous sommes entrés depuis 1945, pour signifier que ce bouleversement planétaire multiforme s’accélère depuis plus de soixante-dix ans. Ces constats dramatiques sont issus de nombreux articles, études et rapports internationaux – tels ceux du GIEC préparatoires aux COP climatiques – qui ne cessent d’examiner les limites que l’écosphère ne doit pas dépasser si l’on veut éviter des catastrophes qui rendraient la Terre inhabitable. Malgré ces alertes répétées, et jusqu’à présent, la progression vers le dépassement de ces limites planétaires continue, notamment dans l’érosion de la biodiversité, le dérèglement climatique, les perturbations des cycles de l’azote et du phosphore, quatre domaines déjà en overshoot. Une période de ruptures s’annonce.

Ainsi évoquées, ces ruptures semblent échapper à toute action humaine en vue de les éviter ou, au moins, d’en réduire les conséquences désastreuses. En outre, l’angle naturaliste adopté incite à croire que ce que des technologies sales ont engendré pourrait être réparé par des technologies propres. Mais il est des continuités qui s’opposent à ces ruptures imminentes : ce sont les continuités sociales fondées sur la recherche incessante d’une vie décente, sur la lutte historique pour l’émancipation, non seulement contre la domination et les dégâts du productivisme mais aussi pour une vie meilleure. Certaines continuités s’annoncent donc aussi, au prix de l’abandon du mode de vie extravagant et inique des deux milliards d’habitants les plus énergivoraces de la planète. À cet abandon, à ce jour, personne n’est disposé, malgré les analyses et les propositions des écologistes depuis quarante ans et malgré les signes avant-coureurs des catastrophes évoquées ci-avant. Que l’on soit misérable à Johannesbourg, pauvre à Brasilia, ou même cadre moyen à Nanterre, le magnétisme télévisé de la vie dorée et obscène de l’hyper-classe mondiale produit en nos esprits des images proliférantes de surconsommation présentée comme le bonheur, voire la jouissance. La face cachée de cette exhibition est, bien sûr, la dégradation généralisée du système-Terre, ainsi que la croissance des inégalités socio-économiques, jusqu’aux ruptures à venir. Pour l’instant, les appels à la sobriété n’ont aucun retentissement contraire à la puissance des images productivistes et consuméristes. Il faudra, hélas, attendre que les dirigeants politiques et économiques souffrent de ces ruptures dans leur chair même, que les détériorations des milieux et les inégalités sociales aient franchi les seuils de l’invivable, et que les recommandations des écologistes résonnent comme autant d’issues et de promesses, pour que des réorientations considérables des modes de vie puissent avoir lieu.

On le voit, notre approche globale, systémique, holistique, plonge fortement le devenir de l’Île-de-France dans un extérieur qui dépend peu de cette région. Cependant, le scénario que nous allons présenter dans ce rapport dépend beaucoup des acteurs franciliens s’ils veulent construire un avenir viable, et même désirable, compte tenu de cet extérieur mondial assez contraint. Nous n’avons pas la prétention, ni les moyens, d’être aussi précis et exhaustifs que le furent les concepteurs du Schéma Directeur de la Région Île-de-France (SDRIF) en 2013. Non plus que les rédacteurs de plusieurs autres documents prospectifs tels que « Scénario de transition énergétique » (Greenpeace, 2015), « Vers une mobilité sobre en CO2 » (SNCF, 2015), Afterres 2050 (Solagro, 2016), négaWatt (2017), le Plan Climat Énergie de Paris (2017), « Paris change d’ère – Vers la neutralité carbone en 2050 » (elioth, egis conseil, Quattrolibri, Mana, 2017), « Un mix électrique 100%EnR en 2050 » (ADEME, 2017). Le point commun à toutes ces études est leur caractère continuiste et sectoriel. Ils vont très loin dans leur thématiques respectives, toutes choses étant égales par ailleurs. La croyance induite par cette locution adverbiale nous semble illusoire. De même que le silence ou le laconisme de ces études sur des possibilités de ruptures, voire d’effondrement, dans l’ordre socio-écologique. Leur gradualisme se marie avec la foi en la production industrielle, le progrès high tech et, pour la plupart, les marchés. Pour notre part, nous partons d’un cadre global et de son évolution probable vers le pire pour préparer la région Île-de-France à une résilience et une soutenabilité fortes dans les décennies à venir. Cependant, nous n’examinerons que quelques questions fondamentales sur lesquelles nos choix se déploieront pour articuler un scénario à l’horizon 2050. Ces questions relèvent de la démographie, de la gouvernance, de la géographie, de l’agro-alimentaire, de l’énergie et de la mobilité.

Diminution de la population


Tous les deux ans, pendant l’été, l’ONU publie ses projections démographiques pour le siècle. En juillet 2017, cette institution estime que nous serons 9,8 milliards d’habitants en 2050 et 11,2 milliards en 2100, contre 7,5 milliards aujourd’hui. De même, l’INSEE publie-t-il régulièrement la mise à jour du nombre d’habitants en Île-de-France, ce nombre ne cessant d’augmenter depuis deux siècles (c’est « l’effet-roi » de Paris et du jacobinisme) jusqu’à plus de 12 millions aujourd’hui. Que cela soit sous l’effet d’une réforme girondine de l’aménagement du territoire et de la constitution de la France (voir sous-chapitre suivant), ou d’un exode francilien massif des habitants vers des régions moins thrombosées et moins polluées, ou d’une conséquence d’événements dramatiques liés à l’overshoot planétaire, ou d’une meilleure disponibilité énergétique ailleurs que dans l’Île-de-France plus soumise à quelques pénuries occasionnelles, nous conjecturons que la région Île-de-France en ses limites administratives actuelles sera moitié moins peuplée en 2050. Dans ce même espace, la répartition géographique envisagée, par biorégions, relèvera de l’exode urbain, c’est-à-dire que les milieux ruraux seront plus peuplées et les zones urbaines moins, pour des raisons énergétiques, alimentaires et mobilitaires que nous exposerons ci-après.

Hypothèse 1 : En 2050, la région Île-de-France comptera environ six millions et demi d’habitants.

Localisation de la gouvernance en biorégions résilientes

Sans doute plus par nécessité de trouver une solution démocratique à l’impuissance des États-nations devant les désastres écologiques et sociaux des années 2020 que par adhésion idéologique à une forme d’autogestion, les Français, comme les citoyens des autres pays d’Europe, entreprirent, au cours de années 2030, une réforme considérable des institutions que l’on peut résumer par « une France fédérale dans une Europe fédérale ». En effet, les grandes structures de domination et de contrôle, que sont aujourd’hui encore les entreprises transnationales et les appareils administratifs au service du libéral-productivisme mondialisé, n’auront cessé de décliner au cours du second quart du XXIè siècle suite au franchissement de leurs seuils respectifs de contreproductivité, selon la terminologie de Ivan Illich. Autrement dit, en investissant toujours plus dans les mêmes moyens qui avaient permis leur essor, ces structures (Google, Monsanto, Total, Carrefour, l’Union européenne, l’éducation nationale, le réseau des transports en Île-de-France, etc) auront fini par obtenir des résultats inverses à leurs objectifs initiaux : le coût marginal d’une complexité croissante devint négatif. Plus on se mondialisait, plus on diversifiait les rôles sociaux, plus on consommait d’énergie, et plus les coûts devenaient prohibitifs tandis que les bénéfices diminuaient.

Un processus politique de décomplexification aura eu lieu pendant une dizaine d’années après les échecs traumatisants des Jeux Olympiques à Paris en 2024 et de l’échelon administratif Métropole du Grand Paris, la hausse définitive du cours du baril de pétrole au-delà des 200 $ et la faillite d’Air France peu après, enfin la ruine agronomique du modèle de la PAC consécutivement à une longue canicule et à la raréfaction excessive des pollinisateurs. Le contrôle de la société par une élite dirigeante aura diminué, de même que la stratification sociale et la spécialisation économique des personnes, jusqu’à une fragmentation politique en territoires moins vastes : par exemple une Île-de-France organisée en un réseau de biorégions. Des mouvements participatifs de citoyens permirent l’élaboration et la lutte pour une sorte de municipalisme écologique inspiré par Murray Bookchin, que presque personne n’avait lu jusqu’alors. De cette effervescence longue émergea concomitamment une nouvelle constitution pour la France – tout le pouvoir aux biorégions ! – une relocalisation économique et sociale, et de nouvelles élections territoriales qui auront porté au pouvoir une nouvelle génération d’idéalistes audacieux et généreux. Pendant ce temps, les décisions des gouvernements nationaux et des instances européennes seront passées au second plan. Même les pouvoirs régaliens de lever des impôts et de garantir la sécurité des biens et des personnes auront été plus exercés par les nouvelles instances régionales et biorégionales que par des administrations centrales émoussées.

Bien que nous estimions que le poids du passé géographique sera moindre que les événements géopolitiques mondiaux qui auront marqué les trente prochaines années, nous avons échafaudé notre scénario à partir des données présentes et anciennes qui retracent l’évolution de l’Île-de-France depuis deux siècles. Ainsi, les huit biorégions franciliennes qui constitueront ensemble les déterminations principales de la vie régionale en 2050 sont approximativement les petites filles des anciens pays de la fin du XVIIIè siècle. Soient le Vexin au nord-ouest, la Plaine de France au nord, la Brie-Marne à l’est, puis la Brie Champenoise, le Gâtinais, le Hurepoix et la Beauce au sud, le Mantois à l’ouest. Par rapport aux onze pays franciliens de l’Ancien Régime, ces huit biorégions conservent encore une certaine unité écologique et paysagère, malgré l’urbanisation intense en zone centrale et l’appartenance des quatre azimuths parisiens aux quatre biorégions proches. Elles sont aussi des extensions maximales des actuels parcs naturels régionaux. Selon nos hypothèses 1, 2 et 5 (voir plus avant), ces biorégions supporteront, pour trois d’entre elles, un peu plus d’un million d’habitants chacune, et beaucoup moins d’un million chacune pour les cinq autres, après le contre-exode urbain opéré au cours des années trente et quarante. Bien sûr, les établissements humains sur chacune de ces biorégions seront fonction des spécificités écologiques et géographiques propres à celles-ci et à celle de Paris, cette ville étant plus dépendante de son extérieur, notamment en matière alimentaire.

Il s’agit bien d’un réseau de biorégions, suffisamment solidaires pour qu’à l’échelle de la région entière on puisse parler d’autosuffisance énergétique et alimentaire, mais non à l’échelle de chaque biorégion, plutôt définie par une combinaison de facteurs tels que la géologie, le relief, l’hydrographie, le microclimat, l’occupation du sol, les terroirs, les matériaux de construction, l’architecture, les bassins de vie et d’emploi. La ville de Paris, par exemple, trop urbanisée pour produire intégralement son alimentation, sera reliée par coche d’eau et par le Transilien J à sa biorégion occidentale, le Mantois, qui, dès la sortie de Saint-Germain-en-Laye, offre les choux-fleurs de Chambourcy, les navets, les oignons, puis le « carreau de Flins » où se récoltent les carottes d’Aubergenville, et les poireaux d’Épône et de Mézières-sur-Seine. En fait, chacune de ces localités produira une certaine diversité de légumes selon la philosophie agronomique de la permaculture (voir plus avant).

Ainsi, les biorégions qui se partagent Paeris retrouveront des relations de proximité fondées sur l’approvisionnement alimentaire, aujourd’hui assuré plutôt par des trains de fruits provençaux ou des camions légumiers bretons, tandis que ces biorégions accueillent les nouveaux quartiers des exclus de la ville-centre ou, à l’autre bout du statut socio-économique, les résidences principales des bourgeois amoureux de la forêt. Le système infernal des transports contemporains éloigne la ville-centre de sa campagne nourricière au profit d’un résidentiel dont plus du tiers des habitants passe plus de trois heures par jour à aller travailler dans l’agglomération, puis à en revenir le soir (en 2010, la simple moyenne francilienne est déjà supérieure à une heure et demi ; elle était inférieure à une heure-un-quart en 1976). Cependant, la durée du nomadisme quotidien sera beaucoup réduit en 2050, à cause de l’immense reconversion des emplois du secteur tertiaire vers le secteur primaire, et de l’offre rétrécie de moyens de transport.

Hypothèse 2 : En 2050, les décisions politiques principales seront prises aux échelons de la région et de chaque biorégion francilienne, tandis que les influences nationale, européenne et mondiale seront secondes.


Une région sobre en énergie


La fourniture continue d’énergie sept jours sur sept et trois cent soixante-cinq jour par an dépend d’infrastructures dimensionnées afin de toujours satisfaire la demande même pendant les épisodes de pic de consommation. Le cas de l’électricité est le modèle de cette condition extravagante de disponibilité permanente. Depuis un siècle, dans les pays industrialisés, chacun s’est habitué à cet accès ininterrompu parce que l’abondance des énergies fossiles permettait ce confort, au prix d’un extractivisme impérialiste et d’une pollution croissante de l’atmosphère. Cette époque se termine aujourd’hui. D’un côté, les sources d’énergies fossiles à bas coût d’extraction, entament leur déclin géologique et font l’objet d’un opprobre croissant du au dérèglement climatique dont elles sont la cause principale. D’un autre côté, le nucléaire n’a jamais représenté que quelques pourcents de la production mondiale d’énergie, faute d’avoir trouvé un modèle économique, écologique et sécuritaire, impossible pour cette source d’énergie. Quant aux renouvelables, qui furent les seules sources d’énergie exosomatique utilisées par l’humanité depuis des millénaires avant la révolution thermo-industrielle, les nouvelles technologies de captage et de conversion qu’elles suscitent ne parviendront pas à éliminer leurs deux tares intrinsèques : leur dispersion et leur intermittence. En outre, malgré une forte croissance actuelle des investissements et des réalisations dans ce domaine des renouvelables, il est vraisemblable que ces sources ne produisent jamais une quantité d’énergie aussi considérable que celle des fossiles qu’elles remplaceraient, et n’atteignent jamais non plus les retours énergétiques sur investissements énergétiques qu’affichaient les fossiles au XXè siècle. Autrement dit, en 2050, le 100% de renouvelables que nous souhaitons – et qui adviendra de toute façon à cause de la déplétion terminale des fossiles et de la faillite du nucléaire – ce 100% fournira beaucoup moins d’énergie qu’aujourd’hui et sera soumis partiellement à l’intermittence.

Dans le secteur électrique, notre hypothèse renverse la philosophie actuelle d’adaptation permanente de l’offre à la demande : en 2050, le 100% renouvelables ne sera réalisé qu’en adaptant la demande à l’offre, donc en acceptant des pénuries occasionnelles et sectorielles. En effet, si l’on peut plus ou moins prévoir les variations diurnes et saisonnières de l’ensoleillement en moyenne, il est impossible ou presque de prévoir le passage d’un nuage au-dessus d’un champ de panneaux photovoltaïques, ces panneaux n’ayant aucune inertie thermique ou mécanique qui, à l’instar des centrales thermiques, pourrait lisser les variations de production. Celles-ci peuvent être très brusques et, parfois, de grande ampleur. Il en est de même – en pire ! – pour l’éolien, qui est plus volatile que le solaire. En moyenne annuelle, et selon leur site, les éoliennes produisent entre 10% et 45% de leur capacité-crête, soit le double du photovoltaïque qui produit de 5% à 30%. Mais le vent est encore plus instable que le soleil : il change à chaque seconde. En Californie, une ferme éolienne peut distribuer une puissance de zéro Watt à 600 MégaWatts plusieurs fois par jour.

Idéalement, donc, les renouvelables seraient utilisées exactement quand elles sont disponibles. Ceci n’est pas du tout réaliste. On ne peut pas ajuster la demande à l’offre tout le temps. Il existe des activités électriques qu’il est impossible d’interrompre ou de remettre à plus tard. Par exemple, l’alimentation des hôpitaux et des foyers domestiques le soir, ou les industries des papiers-cartons, de la chimie et de la sidérurgie. En revanche, certains process mécaniques peuvent supporter l’intermittence : scier, couper, percer, forer, concasser, marteler, aiguiser, polir, fraiser tourner… dans l’agroalimentaire, hacher, broyer, décortiquer, presser… jusqu’en dans l’excavation minière et la production textile : la qualité n’est pas affectée, seule la vitesse de production est ralentie.

De toute façon, une certaine quantité continuelle de courant sera assurée en base par un peu de micro-hydraulique et de cogénération sur méthanisation ou sur machine à vapeur. En outre, pour des activités telles que le froid ou les processus contrôlés par ordinateur, des compléments ponctuels peuvent être fournis par les batteries et accumulateurs, par l’air comprimé, rechargés en période d’abondance d’électricité renouvelable. Dans le secteur des transports (voir aussi ci-dessous), un nouvel âge se profile pour les cargos à voile pour les longues distances, tandis que quelques trains et tramways – moins rapides que les TGV contemporains – seront encore disponibles en traction électrique issus d’éolien la nuit (trains de marchandises) ou de solaire photovoltaïque le jour par des allées de panneaux le long des voies ou au-dessus des caténaires. Et puis, de temps à autre, les trains ne rouleront pas, faute de courant suffisant, notamment l’hiver. D’ailleurs, une directive européenne sur l’hibernation aura été adoptée et transcrite en droit francilien : d’octobre à mars, les horaires de travail quotidien commenceront une heure plus tard et se termineront une heure plus tôt. C’est le biomimétisme adapté aux corps sociaux.

Hypothèse 3 : En 2050, en raison de l’intermittence de certaines sources renouvelables, la demande s’adaptera à l’offre, parois insuffisante. La consommation énergétique de l’Île-de-France, à partir de sources toutes renouvelables, sera d’une tonne-équivalent-pétrole par habitant et par an (ou 11 300 kWh/hab/an), soit une division par 2,6 par rapport à la moyenne française actuelle.

Des territoires comestibles


La disponibilité d’énergie et d’aliments sont les deux premières priorités de tout territoire habité. Selon notre volonté constante vers la diminution de l’empreinte nourriture et vers l’autosuffisance alimentaire de l’Île-de-France, examinons si cette région est capable de nourrir sa population à partir de son territoire en pratiquant uniquement l’agriculture biologique. Un raisonnement global sur la région nous indique que non, si l’on s’en tient aux surfaces actuellement disponibles, à l’agencement trop carné des rations alimentaires, et aux méthodes énergivores et polluantes de l’agriculture contemporaine. Cependant, des changements radicaux au sein de ces trois composantes de l’agroalimentaire permettront de réaliser l’autosuffisante de l’Île-de-France en nourriture à l’horizon 2050, les modalités locales pouvant être très différentes les unes des autres selon les terroirs, et certains échanges de denrées étant réalisés entre biorégions franciliennes. Considérons ces alternatives.

Du côté de la demande en énergie alimentaire, nous supposerons que chaque francilien dispose, en moyenne, de 2 500 calories par jour (en fait, plutôt 3 000 pour les actifs manuels, et 2 000 pour les autres), soit environ 900 000 calories par personne et par an, et 5,4 x 1012 calories pour toute la population pendant un an. Du côté de l’offre agroalimentaire, estimons la surface agricole utile actuelle de l’Île-de-France à 600 000 hectares, soit 0,1 ha = 1 000 m2 par habitant.

Aujourd’hui, en agriculture biologique, une rotation blé-pois produit environ 6 millions de calories par hectare et par an, soit 600 000 calories par habitant et par an, ou encore environ 1650 calories par jour pour chaque habitant. Ce qui est insuffisant. En outre, cette estimation en moyenne ne tient pas compte des variations de production selon les années, dues aux aléas climatiques, aux pestes végétales ou aux maladies des plantes. Non plus qu’une partie de la surface agricole utile peut être dédiée à l’élevage pour la viande, le lait ou la traction animale. Si l’on ajoute environ dix pour cent de perte de récolte, stockage, transport et autres opérations entre la fourche et la fourchette, le bilan – purement calorifique – se dégrade encore. Et plus encore, si l’on veut équilibrer la composition des repas sur une semaine en présentant plus de variété, plus de goût, plus de couleur.

Mais, une autre agriculture biologique est possible ! Nous estimons qu’à l’instar de nos cousins amérindiens, australiens et japonais, le modèle agrobiologique francilien du futur est l’association maïs-haricots-courges (les « trois sœurs ») complétée par la permaculture maraîchère, sur des petites fermes. Tout d’abord, sous l’angle de la soutenabilité énergétique, ce modèle ne réclame aucun intrant extérieur en amont et possède une efficacité dix fois supérieure (oui, dix fois) à l’agriculture productiviste de grande surface en aval : une calorie investie dans ce système restitue une vingtaine de calories alimentaires, tandis que le retour énergétique n’est que de deux calories dans le productivisme. Sous l’angle des coûts, il est faux de dire que ce modèle agrobio revient plus cher au consommateur si, dans le modèle productiviste, on prend en compte les subventions aux agriculteurs (aujourd’hui, dix milliards par an pour la France), les externalités négatives désormais patentes comme l’érosion des sols, la contamination de l’eau et de l’air, et le déclin de la biodiversité, ainsi que les maladies provoquées chez les agriculteurs eux-mêmes et chez les consommateurs de cette mal-bouffe. Sous l’angle de l’emploi enfin, ce modèle permet de créer un emploi pour 1000 m2 en permaculture et deux par hectare en association des trois sœurs. Plus généralement et philosophiquement, ce modèle contient aussi une reconnaissance nouvelle de la symbolique agricole dans nos vies. L’image du travail agricole est très dégradée, et les paysans sont les plus méprisés et les plus exploités des professionnels. Ils sont considérés comme des péquenots, des ploucs provinciaux et lourdauds. Cette dévalorisation cessera avec l’essor du modèle agrobio décrit ci-dessus et, surtout, avec la création massive d’emplois dans ce secteur. Aujourd’hui, ne subsistent que 5 000 emplois agricoles sur 6 millions d’emplois dans la région. En outre, la diminution par deux de la population de la région, la reconquête de terres cultivables, la remédiation des sols, les forêts comestibles, la généralisation des jardins potagers dans les pavillons, les cités-jardins, la végétalisation des frontages et la permaculture urbaine permettront de regagner environ 200 000 hectares nouveaux à destination agroalimentaire.

Hypothèse 4 : En 2050, de près (professionnels) ou de loin (maraîchers amateurs), la moitié de la population – environ trois millions de personnes – participera à une activité agroalimentaire biologique en Île-de-France, qui deviendra autosuffisante.


Moins de transports, plus de mobilité


Au début, les regroupements humains s’établirent plutôt en bord de mer ou le long des fleuves. Puis, au dix-neuvième siècle, le charbon et le rail permirent l’édification de villes éloignées des ports. Enfin, au siècle dernier, le pétrole, les voitures et les camions favorisèrent une considérable extension banlieusarde. La lutte contre le dérèglement climatique et l’imminent pic de production de pétrole conduisent certains à croire que l’on pourrait continuer cette expansion automobile en changeant simplement de carburants. Ainsi, en cette année 2017, nous apprenons que le Royaume-Uni et la France se fixent comme objectif l’arrêt de la vente de voitures à moteurs thermiques à l’horizon 2040. Bravo Nicolas Hulot ? Les constructeurs prétendent pouvoir tenir l’objectif par l’arrivée des moteurs électriques, hybrides ou à hydrogène. Selon nous, cet objectif est irrationnel. Quelques éléments de réflexion sur la bêtise que constituerait la transition des véhicules thermiques vers les véhicules électriques – hydrogène ou batteries, peu importe – auront fini par convaincre les décideurs après 2025, lorsqu’il devint certain que l’offre électrique serait faible en 2050. L’hydrogène est très cher à produire, très cher à transporter, très cher à stocker (dans les véhicules), très cher à convertir en électricité et très dangereux à manipuler. Exit l’hydrogène. Restent les batteries, rechargeables bien sûr. La question devient alors celle des infrastructures. Dans ces domaines les chiffres sensibles sont ceux qui concernent les pointes de la demande et non les moyennes journalières, mensuelles ou annuelles. La moyenne de la demande n’a aucune pertinence : ce qui est nécessaire est que l’offre satisfasse les demandes de pointe. C’est-à-dire, en ce qui concerne l’électricité, la montée en charge entre 06h00 et 09h00 le matin et le pic du soir entre 18h00 et 20h00. Si vous ajoutez la recharge de batteries pour voitures électriques à la courbe actuelle de demande d’électricité quotidienne, ainsi que cette recharge pendant les journées rouges ou noires de Bison futé (plusieurs dizaines de jours par an), il faudrait plusieurs EPR nucléaires en plus pour satisfaire ces pointes pour un parc de 40 millions de véhicules en France, des EPR qui seraient sur-sollicités en pointe, sous-utilisés hors pointe (leur durée d’utilisation nécessaire serait de l’ordre de 500 heures par an). Ceci est de la folie. Exit les véhicules électriques. Nous ne parlerons pas plus longuement de l’aviation qui se sera éteinte pour toujours. Aucun carburant ne pourra faire perdurer la civilisation thermo-industrielle, la mondialisation intensive des échanges, la mobilité à longue distance et à bon marché pour la moitié riche de l’humanité actuelle. Pourtant, en 2050, subsisteront quelques véhicules de secours et de sécurité motorisés en diesel rustiques à faible taux de compression et alimentés par maints hectolitres d’huiles végétales brutes (colza), ainsi que quelques tracteurs et tractopelles du même type.

Dans les années trente de ce siècle, les autorités régionales auront donc décidé de réserver la faible fourniture d’électricité aux tramways vicinaux et aux trains de banlieue, toutefois en nombre moindre qu’aujourd’hui. D’ailleurs, ces trains, joliment renommés (voir carte ci-dessous), serviront autant au transport de marchandises qu’à celui des voyageurs, beaucoup moins nombreux que les migrants pendulaires présents. En effet, la reconversion massive des franciliens en maraichers NIMA (non issus du milieu agricole) pour une partie de leur temps, aura réduit la mobilité contrainte domicile-travail. D’autre part, les gares parisiennes et de banlieue auront chassé les Starbucks et autres boutiques de leurs halls désormais transformés en marchés couverts permanents pour l’alimentation en produits frais.

Néanmoins, les moyens de mobilité du futur sont plutôt à envisager du côté de la marche à pied, de la bicyclette et de la traction animale, de la voile et des embarcations à rames. La géométrie et les performances des bicyclettes ont peu changé depuis un siècle et, s’il est bien entretenu, un tel engin peut durer très longtemps, à condition de disposer d’une réserve de pneus et de chambre à air. De même que dans certains autres domaines que nous abordons, il faudra cependant anticiper dès aujourd’hui la fabrication massive de bicyclettes afin d’en disposer en 2050. En effet, bien que simple d’apparence, le vélo requiert des matériaux industriels tels que l’aluminium et le caoutchouc. Comme la marche, le vélo fait uniquement appel à l’énergie musculaire, mais, à dépense énergétique égale, il est deux fois plus efficace et trois fois plus rapide. En outre, le vélo est un engin multi-usage : équipé d’une caisse à l’avant ou d’une remorque à l’arrière, il peut transporter des charges ; à quatre roues, il se transforme en tracteur à pédales capable de semer, déchaumer, faner, andainer, tirer et autres tâches réclamant peu de puissance ; en station fixe et branché à une courroie, il peut actionner une petite batteuse à grains, une cardeuse de fibres, un extracteur de jus, une pompe à eau, un broyeur, un petit lave-linge, un mélangeur… Privés de nombreux tracteurs, mais épris de puissance, nous ferons de nouveau appel à la traction animale. Plutôt que sur les bœufs, nous parierons sur les chevaux de trait, plus rapides, plus forts et plus résistants. Parier ainsi entraîne, ici aussi, une préparation bien en amont pour un bénéfice en aval, principalement une possibilité de production agricole en faveur des chevaux (un quart des terres cultivées), une fabrication d’harnachements spécifiques (harnais, colliers de travail, courroies, sangles…) et de différents types de chariots, des espaces pour leur habitat et, bien sur, un nombre conséquent de chevaux aptes à l’attelage. Toute une sellerie, une maréchalerie et des infrastructures à créer. Le cheptel équin français existant est de l’ordre d’un million de têtes, dont seulement 8% d’ânes et 6% de trait, le reste pour le loisir ou les courses. Si nous voulons atteindre un million d’ânes et de chevaux de trait en France et cent mille en Île-de-France en 2050, une réorientation des haras devra être effectuée au plus tôt. Ces considérations prophétiques s’appliquent mutatis mutandis à la voile et aux embarcations à rames, bien que l’Île-de-France soit moins concernée par ces modes.

Moins de transports donc, mais, paradoxalement, plus de mobilité. Il faut, en effet, imaginer ce que sera une Île-de-France sans la moitié de sa population de 2017 et dotée d’environ trois millions d’habitants seulement dans la zone centrale (soit, grosso modo, le territoire 75 + 92 + 93 + 94), donc un exode urbain de la zone dense vers les campagnes. En outre, une fois établie en quelque partie rurale, une famille idéal-typique consacrera la moitié de son temps à la permaculture, l’autre moitié à échanger localement des produits et services avec ses voisins villageois, et la troisième moitié à faire l’aller-retour à Paris pour assister à un spectacle de danse au Trocadero. Ces deux perspectives – six millions et demi d’habitants en Île-de-France et des activités commerciales et citoyennes locales – esquissent un nouveau genre de mobilité, tant spatiale que sociale.

Le monothéisme de la voiture comme outil hégémonique de la mobilité libre, démesurément martelé par la propagande publicitaire au cours du vingtième siècle, aura été vaincu par la congestion et la pollution insupportables des agglomérations au risque de la santé, la réaction des populations face aux épisodes violents du dérèglement climatique, le renchérissement soudain du prix des carburants due à la raréfaction du pétrole, et la volonté des instances politiques de changer de paradigme de mobilité. Imaginer les chaussées d’une ville comme Paris débarrassée de tout véhicule particulier et occupée par la diversité polythéiste des piétons, poussettes, vélos, fiacres et tramways aura été d’autant plus facile à réaliser que Paris n’aura plus qu’un million d’habitants et que les quais de Seine avaient déjà banni les voitures dès les années 2010, pour le plus grand plaisir des promeneurs comme le furent, en leur temps, Charles Baudelaire, Walter benjamin et Patrick Modiano.

Hypothèse 5 : En 2050, les principaux moyens de transport seront de basse-tech (marche à pied, vélos, traction animale). Les tramways vicinaux et trains biorégionaux constitueront toutefois une infrastructure lourde apte à garantir les échanges et la solidarité intrarégionale.

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Notre démarche est holistique, systémique et résiliente : l’Île-de-France est considérée comme un tout articulé en biorégions, inséré dans un système de contraintes mondiales, et destinée à être peuplée d’habitants heureux en 2050 et en 2150. Si nous insistons beaucoup, dans ce rapport, sur les conditions et les contraintes matérielles, nous estimons cependant que l’essentiel de la vie bonne dans ces futurs se trouvera plutôt dans les relations humaines et dans les pratiques culturelles et artistiques, ces activités qui réjouissent par le seul plaisir de leur effectuation. D’autant plus que nos descendants auront été transfigurés par les ruptures d’avant 2050, et que nous accueillerons toujours les artistes, acrobates et réfugiés de toute la planète. Cependant, nous sommes convaincus que sans une base modeste de besoins matériels satisfaits, aucune civilité, aucune civilisation, aucun cosmos ne peut surgir et s’épanouir.

Comme la plupart des études prospectives, nous avons utilisé la méthode du backcasting pour penser et articuler notre scénario. Usuellement, cette méthode consiste à décrire un objectif de société rêvée pour 2050, un futur désirable, puis les étapes nécessaires pour y parvenir par réorientation continue, réforme graduelle, transition souple à partir de l’existant. Notre méthode est aussi celle du backcasting mais avec une vision de 2050 qui tient compte de plusieurs ruptures au cours des années prochaines. Les étapes pour s’adapter à ce futur sont alors inspirées par la nécessité autant que par la volonté. Inspirées aussi par l’espoir qu’au tournant du demi-siècle il existe une douceur de vivre en Île-de-France.

Références.


Philippe Bihouix, L’âge des Low Tech, Le Seuil , Paris, 2014.

Murray Bookchin, Pour un municipalisme libertaire, Lyon, Éditions Atelier de création libertaire, 2003.

Jacques Caplat, L’agriculture biologique pour nourrir l’humanité – Démonstration, Arles, Actes Sud, 2012.

Kris De Decker, « How (Not) to Run a Modern Society on Solar and Wind Power Alone », lowtechmagazine.com, 13 septembre 2017.

Kris De Decker, « How to run the Economy on the Weather », lowtechmagazine.com, 21 septembre 2017.

Perrine et Charles Hervé-Gruyer, Permaculture – Guérir la terre, nourrir les hommes, Arles, Actes Sud, 2014.

Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France (IAURIF), Atlas rural et agricole de l’Île-de-France, Iaurif-Driaf, 2004.

J-G Moreau & J-J Daverne, Manuel pratique de la culture maraîchère de Paris, Éditions du linteau, Paris, 2016 (1845).

Michel Phlipponneau, La vie rurale de la banlieue parisienne, Paris, Librairie Armand Colin, 1956.